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vain depuis tant d’années, et enfin des douceurs que vous n’avez jamais trouvées[1]. » Ce que l’on se demande, ce n’est pas quand il aura tout dit, c’est quand il en sera là que de ne plus rien avoir à dire. Autre exemple : « Les chrétiens sont-ils faits pour ne pas se voir et s’interdire toute société les uns avec les autres ? Les chrétiens ! les membres d’un même corps, les enfans d’un même père, les héritiers d’un même royaume, les pierres d’un même édifice, les portions d’une même masse ; les chrétiens ! la participation d’un même esprit, d’une même rédemption et d’une même justice ; les chrétiens, sortis du même sein, régénérés dans les mêmes eaux, incorporés dans la même église, rachetés d’un même prix[2] ! » Et il continue : « Toute la religion qui nous lie, les sacremens auxquels nous participons, les prières publiques que nous chantons, le pain de bénédiction que nous offrons. » Et il recommence, et vous qui l’écoutez, je vous défie bien de ne pas vous intéresser à cette volubilité même de parole, à cette abondance de vocabulaire, à cette profusion de métaphores, à ce flot de périphrases, à ce torrent enfin de mots qui jaillissent, qui coulent et qui roulent comme d’une source intarissable. On se dit : Que va-t-il bien rencontrer encore ? et s’il arrive en effet qu’il rencontre quelque chose, une antithèse plus heureuse, une élégance plus nouvelle, une finesse plus imprévue, c’en est fait, vous cédez au charme, et son triomphe est assuré. Je pourrais aisément multiplier les exemples : je me contenterai d’un dernier que j’emprunte au sermon sur l’enfant prodigue et que l’on peut considérer comme le modèle de ses énumérations historiques. Sous la domination donc de ce vice d’impureté, dit-il, il n’est rien sur quoi l’on ne s’aveugle : « On s’aveugle sur sa fortune, et Amnon..,. on s’aveugle sur le devoir, et la femme de Putiphar.., on s’aveugle sur la reconnaissance, et David.., on s’aveugle sur les périls, et le fils du roi de Sichem.., on s’aveugle sur les bienséances, et les deux vieillards de Susanne.., on s’aveugle sur les discours publics, et Hérodias.., enfin on s’aveugle sur l’indignité même de l’objet qui nous captive, et Samson.., » On voit à plein le procédé. Je n’ai pas besoin de montrer ce qu’il laisse encore de liberté dans le choix et l’invention du détail, mais sans doute encore moins de montrer ce qu’il introduit avec lui de factice dans la composition des ensembles. En effet, nous touchons au but, et nous pouvons nous proposer de fixer la formule d’un sermon de Massillon,

Massillon compose par le dehors. Il ne s’établit pas d’abord,

  1. Sur la Samaritaine.
  2. Sur le pardon des offenses.