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occupent dans le discours. On les rencontre quelquefois au milieu d’une période, il est vrai ; cependant, à l’ordinaire, antithèses et périphrases terminent volontiers l’alinéa. Ce n’est pas un hasard, c’est une manière propre à Massillon, sa signature en quelque sorte, mise au bas du tableau. Le plus souvent en effet, et selon le mouvement naturel de l’intelligence en action, — que l’on développe une doctrine par les idées ou que l’on amplifie par les mots un lieu-commun, — c’est du général au particulier, c’est de l’abstrait au concret, c’est de la maxime à l’application, c’est de l’idée proprement dite à l’image, et de ce qui ne serait intelligible enfin que pour quelques-uns à ce que l’esprit le plus obtus peut comprendre, que le développement ou l’amplification oratoire déroulent, anneau par anneau, la longue chaîne de leurs raisons ou la longue série de leurs phrases. Bourdaloue dira donc : « Être convertie et cependant être aussi mondaine que jamais, être dans la voie de la pénitence et cependant être aussi esclave de son corps, aussi adonnée à ses aises, aussi soigneuse de se procurer les commodités de la vie, réduire tout à des paroles, à des maximes, à des résolutions, c’est une chimère, et compter alors sur sa pénitence, c’est s’aveugler soi-même et se tromper[1]. » Vous voyez comme sa phrase finit sur la leçon, simple, claire, précise. Mais Massillon dira, traitant le même sujet, et développant la même idée : « Elle n’imite point ces personnes qui conservent encore sur elles-mêmes des soins et des attentions dont la pénitence ne s’accommode guère, qui n’étalent plus d’une manière indécente pour allumer des désirs criminels, mais qui ne négligent rien dans des ornemens moins brillans, qui cherchent les agrémens jusque dans la modestie et dans la simplicité, et qui veulent encore plaire, quoiqu’elles soient fâchées d’avoir plu[2]. » La chute en est jolie. Mais visiblement, il va du fin au fin du fin. Il est comme en spectacle à son auditoire, et nous l’écoutons, le dirai-je ? comme nous écouterions un dialogue de la Surprise de l’amour ou des Fausses Confidences, avec une attention curieuse de savoir jusqu’à quel point de division, de distinction et de ténuité psychologique il poussera la finesse.

Ses énumérations, disposées avec le même art, suspendues par le même procédé savant, produisent le même effet et de la même manière captivent l’auditeur. C’est le même intérêt de curiosité qui s’éveille. Écoutez-le. C’est là, dit-il, dans la retraite, que vous connaîtrez « le terme de vos travaux, le délassement de vos fatigues, la consolation de vos peines, le repos que vous cherchez en

  1. Bourdaloue, Sur la conversion de Madeleine.
  2. Massillon, Panégyrique de sainte Madeleine.