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retournez ces trois mots : qu’est-ce que cette langueur et cette maladie que les précautions épuisent ? ou, si cela veut dire qu’à force de précautions le malade aggrave, et lui-même nourrit son mal, que viennent faire, ici ces métaphores d’usure et d’épuisement, si ce s’est balancer l’antithèse et permettre « au développement de finir sur une pointe ?

Je n’ai pas pris ces exemples tout à fait au hasard. C’est que Massillon se complaît visiblement à cette sorte de jeu de mots. Bien plus : il l’élève à la dignité d’un procédé. Il dira du pécheur : « Le monde meurt pour lui, mais lui-même en mourant ne meurt pas encore au monde[1]. Il dira des simples d’esprit et de l’heureuse humilité de leur foi : « Cette foi à qui les sens n’ajoutent rien et qui est heureuse non parce qu’elle croit sans voir, mais parce qu’elle voit presque en croyant[2]. » Il dira des indifférens et des tièdes, que « tandis qu’ils donnent à la figure du monde la vérité et la réalité de leurs affections, ils n’en donnent que la figure à la vérité de la loi et à la réalité des promesses de Dieu[3]. » Limitons toutefois le sens et la portée de notre observation. L’antithèse est au fond du christianisme : c’est l’antithèse de la raison et de la foi, c’est l’opposition de l’ordre de la nature et de l’ordre de la grâce, c’est jusque dans la discipline extérieure la distinction du laïque et du clerc, de l’homme du siècle et de l’homme d’église : et prêcher le christianisme, c’est en quelque sorte exagérer ces distinctions, ces oppositions et ces antithèses pour en triompher en les conciliant sous la loi de la révélation. Ce que nous reprochons à Massillon, ce n’est donc pas d’avoir usé de cette forme antithétique ; c’est de l’avoir réduite à n’être plus qu’un moule banal dont il est trop facile de tirer autant d’épreuves que l’on voudra. Car, selon le caprice, vous pourrez jouer sur les verbes ; « et nos faibles travaux ne nous sont plus comptés pour rien, dès que nous les comptons nous-mêmes pour quelque chose[4] ; » vous pourrez jouer sur les adjectifs : « Toute vie qui n’est pas digne d’un saint est indigne d’un chrétien[5] ; » vous pourrez jouer sur les substantifs : « Si l’éclat du trône est tempéré par l’affabilité du souverain, l’affabilité du souverain relève l’éclat du trône[6]. » Arrêtons-nous, et posons un premier point d’interrogation. Ne serait-ce pas

  1. Sur la mort du pécheur et la mort du juste.
  2. Sur les dispositions à la communion.
  3. Sur le véritable culte.
  4. Sur les obstacles que la vérité trouve chez les grands.
  5. Sur le mauvais riche.
  6. Sur l’humanité des grands envers le peuple.