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autres cantons, le terme est de quatre années et coïncide avec la réélection du grand conseil. A Neuchâtel, où les députés sont élus tous les trois ans, le mandat des juges est restreint à ce terme. A Genève, où le grand conseil n’est élu que pour deux ans, on a reculé devant une durée aussi courte, et une seule législature sur deux est investie du soin de renouveler les corps judiciaires. Les Suisses sentent eux-mêmes combien est vicieuse une si fréquente réélection. Aussi nous n’avons trouvé ni un jurisconsulte, ni un homme politique qui demandât de transférer la nomination des juges au pouvoir exécutif, tandis que nous en : avons rencontré plusieurs qui n’hésitaient pas à regretter l’inamovibilité. Ils prennent patience en montrant comment les mœurs sont parvenues à corriger la loi. Les magistrats qui exercent avec un mérite reconnu depuis vingt-cinq et trente ans, ne sont pas rares en Suisse. Il est peu de villes où on ne soit fier de les citer. A côté de la durée légale des fonctions, qui est d’une brièveté dérisoire, il faut donc placer le fait qui atténue la rigueur de la loi.

Malheureusement pour le juge, sa position est doublement précaire : non-seulement il est exposé à perdre la faveur du peuple, mais son traitement suffit à peine. Sans parler des cantons où les vacations rémunèrent le juge, système qui compromet la justice et fait soupçonner le magistrat dans la plus grande partie de la Suisse où sont établis les traitemens fixes, leur médiocrité est l’objet des plaintes les plus vives. La question budgétaire, que les contribuables discutent avec ardeur, ne nous intéresse pas ; ce qui nous importe, ce sont les conséquences de ce qui existe : or, dans les districts où le nombre des affaires est considérable, où les tribunaux absorbent entièrement le temps des juges, on arrive difficilement à déterminer un candidat à accepter une charge. On parle de tribunaux d’une importance considérable dans lesquels une place est vacante depuis quelques mois, sans qu’on puisse trouver un titulaire. Les Suisses seront obligés d’élever les traitemens et d’accroître la durée des fonctions, s’ils ne veulent assister au déclin de leur justice. Dans les gouvernemens aristocratiques, les juges, appartenant à la classe riche, peuvent être indifférens au profit de leur charge ; en Suisse, le peuple se défie de la fortune : il aime à prendre ses candidats dans une position subalterne. Il en résulte un dilemme : ou il choisit les hommes d’une intelligence reconnue, et il leur faut un rare esprit de sacrifice pour renoncer à acquérir la fortune grâce à une fonction lucrative ; ou le peuple est amené à prendre des hommes ignorans qui se résignent à accepter un traitement au niveau de leur médiocrité.

Un autre danger de l’élection, c’est d’ouvrir aux juges la voie des ambitions politiques. Il n’est rien de plus fréquent que