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confient au pouvoir exécutif la nomination des magistrats ; les autres préfèrent la donner au peuple directement ou à ses mandataires. Les Suisses sont partisans de ce dernier système. Pour nous qui avons toujours vu le pouvoir exécutif investir les juges, la surprise est profonde et nous nous sentons plein de défiance. Examinons d’abord comment les différentes constitutions helvétiques ont appliqué cette méthode, nous aurons soin de distinguer les résultats par rapport à la Suisse et la valeur réelle du système.

Dans quelques petits cantons, le peuple gouverne directement ; la population est assez restreinte pour qu’une assemblée contienne tous les électeurs, et lorsqu’aux premiers jours du printemps le voyageur qui descend les pentes du Saint-Gothard voit dans la vallée d’Uri ou d’Untervald une foule pressée autour de quelques hommes, il peut se dire qu’en ce champ de mai il a devant les yeux le spectacle unique, dans les temps modernes, d’un peuple réuni, tout entier, pour délibérer sur ses propres affaires, écouter ses chefs, apprécier leurs actes, et renouveler leurs pouvoirs ; le jour même où il choisit les autorités qui régiront pendant l’année le canton, il élit ses magistrats. Mais les limites étroites du territoire, le nombre restreint des habitans, leurs mœurs pastorales les rejettent si loin de notre civilisation qu’on doit regarder cette application de la démocratie pure comme une épave du passé et non comme un exemple de l’avenir. Il faut sortir des gorges sauvages de la Reuss pour retrouver avec les horizons élargis le mouvement commercial et industriel qui fait la prospérité des cités.

Descendons vers Herne et Lucerne : nous trouvons les juges élus par le peuple, non en assemblée générale comme dans les petits cantons, mais par un scrutin auquel prennent part tous les électeurs habitant depuis plus de trois mois la juridiction. Le système de vote est le même pour les juges de paix et pour la formation du tribunal de district ; seulement, tandis qu’à Lucerne le président est choisi par les électeurs, à Berne, le pouvoir législatif le désigne sur la présentation séparée de la cour suprême et du peuple, ce qui donne aux capacités une plus grande chance de parvenir. La cour suprême n’est pas issue de la même source. L’assemblée politique du canton, qui porte dans presque toute la Suisse le nom de grand conseil, est chargée dénommer, dans la plupart des cantons, les magistrats qui composent le tribunal supérieur. C’est, à vrai dire, une élection à deux degrés, les députés directement élus devenant les électeurs des juges.

Ainsi, suivant l’importance de la juridiction, la constitution a eu recours à l’élection par le suffrage populaire ou par les députés.

Plus on s’avance vers la frontière française et plus devient rare l’intervention directe du peuple. A Neuchâtel, les juges de paix