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périls qu’elle court ne s’accommodent pas d’un régime de concessions mutuelles où les rapports entre les forces seraient variables. Il faut des lois précises, une constitution claire, et un contrôle qui maintienne d’une main également ferme ceux qui font la loi et ceux qui l’exécutent. Le pouvoir judiciaire a reçu cette grande mission : il est la clef de voûte de la constitution américaine. En faut-il des exemples ? La constitution interdit aux états de voter un statut qui altère les obligations privées. Un état fait-il une loi qui porte atteinte à un droit résultat d’un contrat ? le citoyen lésé saisit le tribunal fédéral. — La constitution défend de faire une loi qui touche en rien à la liberté de la presse. Un statut local diminue-t-il les franchises du livre, du journal ? aussitôt, le tribunal fédéral est saisi. — Les lois rétroactives sont prohibées. Celui qui est condamné en vertu d’une loi pénale rétroactive en appelle. En un mot, toutes les doléances des citoyens lésés par la loi, qu’elle émane du congrès ou de la législature des états, aboutissent aux magistrats fédéraux, qui, les yeux fixés sur la constitution, jugent à la fois les pouvoirs publics, les législateurs et la loi.

Pour une telle mission, quelle force ne fallait-il point donner aux cours fédérales ? La constitution n’hésita pas à rendre permanentes les fonctions de ces juges qui tiennent en leurs mains la, législation politique aussi bien que la législation civile des États-Unis. Malgré le flot montant de la démocratie, malgré la manie du fonctionarisme et les exigences électorales dont le tableau a été tracé, l’inamovibilité des juges fédéraux paraît à l’abri des attaques. Elle a résisté à la malveillance de Jefferson, qui soutenait avec les théoriciens de l’omnipotence populaire que la permanence des fonctions de justice était un vestige de la monarchie. Les jurisconsultes qui font autorité de l’autre côté de l’Atlantique, Story, Kent et avant eux les auteurs du Federalist, ont victorieusement démontré que l’inamovibilité, utile en une monarchie pour défendre les droits des sujets contre les abus de la couronne, était indispensable en une république pour protéger les juges contre la tyrannie des factions. Il faut que les tribunaux résistent à ces courans éphémères, se montrent en tous temps armés et résolus contre la licence et qu’ils agissent avec impartialité sans se soucier de la condition du plaideur ou du parti auquel il appartient. Il est admis aujourd’hui en Amérique que le juge a besoin de plus de fermeté pour résister aux caprices injustes de la foule qu’à l’arbitraire du monarque. Dans tout gouvernement, quel que soit son nom, il existe toujours un souverain, disposant de la force, pouvant en abuser et dont le juge doit contenir les fantaisies au nom du droit. Partout il ne peut y avoir de sécurité pour les minorités que grâce au pouvoir judiciaire. Il est le protecteur naturel des