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peindre, j’ai un point de côté qui fait que je marche tout de travers et me tenant la hanche comme une personne embarrassée de garder un clystère. Il faudra que je songe sérieusement à me mettre en état de grâce ; chose qu’on fait toujours le plus tard qu’on peut, et si tard que j’ai de la peine à croire que cela serve à quelque chose. Voilà, direz-vous, de beaux sentimens ! vous savez que je plaisante, et qu’en état de santé ou de maladie, je suis toujours la même ; quant au moral, ma gaîté n’en est même pas altérée, et je prends le tems comme il vient, comptant sur l’avenir, sur mes forces physiques et sur la bonne envie que j’ai de vivre longtemps pour vous, aimer et vous soigner. Heureusement vous êtes toujours jeune et vous pouvez encore mener longtems la vie de garçon, mais un jour viendra, madame ma chère mère, où vous ne serez plus si forte, où vous n’aurez plus de si beaux yeux ni de si bonnes dents, il faudra bien alors que vous reveniez à nous, c’est là que je vous attends, au coin du feu de Nohant, enveloppée de bonnes couvertures et apprenant à lire aux enfans de Maurice et à ceux de Solange ; moi-même je ne serai plus alors très allante, et si ma pauvre santé détraquée me mène jusque là, je ne serai pas fâchée d’accaparer l’autre chenet ; c’est alors que nous raconterons de belles histoires qui n’en finiront pas et qui nous endormiront alternativement. Je serai, moi, beaucoup plus vieille que mon âge, car déjà avec une dose de sciatique et de douleurs, comme celles qui me pèsent sur les épaules, je gagerais que vous êtes plus jeune que moi ; ainsi donc, chère mère, comptez que nous vieillirons ensemble et que nous serons juste au même point ; puissions-nous finir de même et nous en aller de compagnie là-bas, le même jour ! Adieu, chère maman, je laisse la plume à Hippolyte, je ne puis pas écrire sans me fatiguer beaucoup, mon étourdi se charge de vous raconter nos amusemens.


A Monsieur Jules Boucoiran, à Châteauroux.


Nohant, 1er mars 1830.

Il me semblait, en effet, que vous nous aviez oubliés, mon cher enfant, et je suis bien aise de m’être trompée. Vous seriez fort ingrat si vous ne répondiez pas à l’amitié sincère que je vous ai témoignée et que vous m’avez paru mériter. Je crois que vous y répondez, en effet, puisque vous me le dites, et je suis sensible à la manière simple et affectueuse dont vous me l’exprimez. Vous vous applaudissez d’avoir trouvé une amie en moi. C’est bon et rare les amis ! Si vous ne changez point, si vous restez toujours ce que je vous ai vu ici, c’est-à-dire honnête, doux, sincère, aimant