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couleurs roses avec un teint demi-brun, demi-clair, et les prunelles d’un noir orangé, c’est-à-dire d’un moins beau noir que les vôtres, mais presqu’aussi grandes, enfin en fesant un effort d’imagination, vous pourrez prendre une idée de sa petite mine, qui sera, je crois, par la suite plutôt belle que jolie. La taille est sans défauts, svelte, droite comme un palmier, souple et gracieuse, les pieds et les mains sont très petits, le caractère est un peu emporté, un peu volontaire, un peu têtu. Cependant le cœur est excellent, et l’intelligence très susceptible de développement. Il lit très bien et commence à écrire, il commence aussi la musique, l’orthographe et la géographie ; cette dernière étude est pour lui un plaisir.

Voilà bien des bavardages de mère, mais vous ne m’en ferez pas de reproches, car vous savez ce que c’est. Pour moi, je n’ai pas autre chose dans l’esprit que mes leçons et j’y sacrifie tous mes anciens plaisirs. Voici le moment où tous mes soins deviennent nécessaires, et l’éducation d’un garçon n’est pas une chose à négliger. Je m’applaudis plus que jamais d’être forcée de vivre à la campagne, où je puis m’y livrer entièrement. Je n’ai aucun regret aux plaisirs de Paris, j’aime bien le spectacle et les courses quand j’y suis, mais heureusement je sais aussi n’y pas penser quand je n’y suis pas et quand je ne peux pas y aller. Il y a une chose sur laquelle je ne prends pas aussi facilement mon parti ; c’est d’être éloignée de vous, à qui je serais si heureuse de présenter mes enfans, et que je voudrais pouvoir entourer de soins et de bonheur. Vous m’affligez vivement en me refusant sans cesse le moyen de m’acquitter d’un devoir qui me serait si doux à remplir. Moi-même j’ose à peine vous presser dans la crainte de ne pouvoir vous offrir ici les plaisirs que vous trouvez à Paris et que la campagne ne peut fournir. Je suis pourtant bien sûre intérieurement que, si la tendresse et les attentions suffisaient pour vous rendre la vie agréable, vous goûteriez celle que je voudrais vous créer ici.

Adieu, ma chère maman, nous vous embrassons tous, les grands comme les petits. Écrivez-moi donc, ce n’est pas assez pour mai d’apprendre que vous vous portez bien, je veux encore que vous me le disiez et que vous me donniez une bénédiction.


A Madame Dupin, Paris,


Nohant, février 1830.

J’ai reçu votre lettre depuis quelques jours, ma chère petite maman et j’y aurais répondu tout de suite sans un nouveau dérangement de santé qui m’a mis assez bas. Je souffre beaucoup de la poitrine ; je ne puis respirer, et aujourd’hui, pour m’achever de