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A Madame Dupin, Paris,


1er février 1830.

Ma chère maman,

Si je n’avais reçu de vos nouvelles par mon mari et par mon frère qui vient d’arriver, je serais inquiète de votre santé, car il y a bien longtems que vous ne m’avez donné de vos nouvelles. Il y a plusieurs jours que je me disposais à vous en demander, mais j’en ai été empêchée par de vives alarmes sur la santé de Maurice. Il a eu une irritation d’estomach, accompagnée d’une fièvre violente dont un accès a duré 24 heures sans aucune interruption dans le délire et dans l’assoupissement toujours mêlé de rêves, d’agitations presque convulsives. J’ai été bien malheureuse pendant quelques jours. Heureusement les soins assidus, les sangsues, les cataplasmes et les lavemens ont adouci cette crise, et il a même été plus promptement rétabli que je n’osais l’espérer. Il va bien maintenant et reprend ses leçons, qui sont pour moi une grande occupation. Il me reste à peine quelques heures par jour pour faire un peu d’exercice et jouer avec ma petite Solange, qui est belle comme un ange, blanche comme un cygne et douce comme un agneau. Elle avait une bonne étrangère qui lui eût été fort utile pour apprendre les langues, mais qui était un si pitoyable sujet sous tous les rapports, qu’après bien des indulgences mal placées, j’ai fini par la mettre à la porte ce matin, pour avoir mené Maurice (à peine sorti de son lit à la suite de cette affreuse indigestion) dans le village, se bourrer de pain chaud et de vin du crû.

J’ai confié Solange aux soins de la femme d’André, que j’ai depuis deux ans et qui est un bon sujet. Je vous envoie le portrait de Maurice, que j’ai essayé le soir même où il est tombé malade. Je n’ose pas vous dire qu’il ressemble beaucoup, j’ai eu peu de tems pour le regarder, parce qu’il s’endormait sur sa chaise. Je croyais que c’était seulement un besoin de sommeil après avoir joué, tandis que ce n’était rien moins que le mal de tête et la fièvre qui s’emparaient de lui. Depuis je n’ai pas osé le faire poser dans la crainte de le fatiguer, j’ai cherché autant que possible, en retouchant mon ébauche, de me pénétrer de sa physionomie espiègle et décidée. Je crois que l’expression y est bien, seulement le portrait le peint plus âgé d’un an ou deux, la distance des narines à l’œil est un peu exagérée, et la bouche n’est pas assez froncée dans le genre de la mienne. En vous représentant les traits de cette figure un peu plus rapprochés, de très longs cils que le dessin ne peut pas bien rendre et qui donnent au regard beaucoup d’agrément, de très vives