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retour d’un autre cœur, et les hommages dont elle est entourée s’adressent non à elle, mais à la dot colossale qu’elle doit avoir et aux millions de son père. Si elle continuait à refuser jusqu’au bout tous les prétendans qui se présentent, son véritable nom serait sur toutes les lèvres ; mais le tact, de l’auteur a pu arrêter à temps une ressemblance trop fidèle ; à la dernière page du roman, Adrienne Neuchâtel consent à épouser un galant homme, trop écervelé pour n’être pas désintéressé ; elle cesse d’être un portrait : elle demeure un type.

N’est-ce pas encore, une victime de la richesse que lord Montfort, ce grand seigneur. blasé, héritier d’immenses domaines et d’un revenu princier qui n’a jamais eu un désir sans le satisfaire, qui ne s’est jamais connu un devoir à remplir ? Il a parcouru le monde au gré de sa fantaisie, promenant partout la satiété de toutes les jouissances et poursuivi par l’inexorable ennui. Revenu en Angleterre, il a épousé, pour se distraire, une jeune fille dont les charmes et l’esprit l’ont séduit ; au bout de six mois, il s’en est lassé et depuis lors il la tient éloignée de lui ; il lui laisse à Londres un grand état de maison, il l’oblige à recevoir la cour et la ville, avec ordre de lui écrire tous les jours, parce qu’elle a la plume facile et que ses lettres l’amusent. Il veut être informé de tout, et pourtant il ne retourne pas à Paris, de peur d’être invité à l’ambassade d’Angleterre, et il a horreur de Londres, parce qu’il y serait exposé à dîner avec les ministres. Il ne connaît d’autre règle que son caprice, d’autre loi que sa volonté, et lorsqu’à son lit de mort on lui annonce l’arrivée de sa femme qu’il avait défendu de prévenir, il dit au médecin : « Je vois bien que je vais mourir, puisqu’on me désobéit. » Pourtant, à cette femme qu’il a cessé d’aimer et à laquelle il ne veut pas dire un dernier adieu, il laisse tous les biens dont il peut disposer, parce qu’il déteste plus encore le parent dont la loi fait l’héritier de son titre et de ses domaines.

Quelle humiliante et lourde chaîne ne traîne-t-elle pas, sous les lambris dorés de son hôtel, cette jeune et brillante lady Montfort, qui a cru faire un mariage d’inclination et dont les illusions ont si peu duré ! Elle s’ingénie à chercher des distractions pour son seigneur et maître ; elle s’évertue à découvrir des savans, des voyageurs, des écrivains, des ingénieurs, des hommes à projets, dont la conversation puisse intéresser ou divertir cet inamusable imari. Elle vit dans la perpétuelle appréhension d’une rupture ou de quelque éclat qui ruinerait sa considération dans le monde.


Mylord, dit-elle à un ami, m’écrit qu’il est indisposé et qu’il veut rester à Princedown ; mais loin de m’autoriser à l’y aller rejoindre, il me