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maison où ils louent des appartemens garnis. Endymion ne peut loger ailleurs que chez eux ; on le traite en enfant gâté, on l’entoure des soins les plus attentifs et les plus délicats, on lui procure toutes les distractions, tous les plaisirs qu’il peut souhaiter à son âge. Il semble d’ailleurs que cette maison soit ensorcelée : on n’y peut loger sans que la fortune ou à grandeur vous y viennent chercher, et Endymion ne fera point exception à la règle.

il semble, d’abord, que sa sœur Myra doive être plus à plaindre : elle ne veut pas aller le retrouver à Londres de peur de lui être à charge. La duchesse Zénobie a fait parvenir, avec ses condoléances, les offres de service les plus aimables, elle a ouvert sa maison à la fille de son ancienne amie ; mais Myra veut se suffire à elle-même. Il se trouve, à ce moment, que la fille unique du plus riche banquier de la cité, Adrienne Neuchâtel, est atteinte d’hypocondrie. Le père, inquiet, met sur le compte de la solitude la mélancolie noire, l’abattement et la langueur que rien ne peut dissiper chez sa fille ; il est convaincu que la société d’une compagne de son âge est le seul remède qui puisse être efficace il cherche partout, même par la voie des annonces, une jeune personne de bonne famille, instruite, bien élevée, qui puisse devenir pour Adrienne moins une compagne qu’une amie. Myra se présente : elle est agréée d’emblée. Il va sans dire qu’elle conquiert du premier coup la confiance et l’amitié d’Adrienne. Heureux de voir sa fille secouer le marasme qui la consumait, le banquier ne sait comment témoigner sa reconnaissance : il comble la sœur de présens, il accable le frère d’amitiés ; il l’invite, le recommande et le produit dans le monde. Ce n’est pas tout : le plus influent et le plus populaire des ministres du jour, lord Roehampton, qui n’est pas seulement un homme du monde accompli et un causeur séduisant, qui a le caractère le plus noble et le cœur le plus tendre, vient passer quelques jours dans la magnifique habitation où les Neuchâtel s’établissent pendant l’été. Il s’éprend de Myra et l’épouse. Voilà Myra grande dame, riche, adulée, toute puissante ; voilà aussi Endymion devenu, à vingt-ans, le beau-frère d’un ministre ! On se doute que son avancement est rapide ! il devient le secrétaire particulier d’un autre membre du cabinet ; il est accueilli et choyé dans les salons du parti whig. Sa fortune ne s’arrête pas : moins de deux ans après, on trouve moyen de le faire entrer dans la chambre des communes : avant d’avoir trente ans, il sera membre du gouvernement et, quelques années plus tard, il sera premier ministre. Au milieu de cette succession ininterrompue d’événemens heureux, et comblés ainsi tous les deux des faveurs de la fortune, le frère et la sœur ont mauvaise grâce à se plaindre des rigueurs du sort ; et