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opinions les loisirs que lui laissent les leçons qu’il donne à ses enfans ; il devient le collaborateur assidu de la grande revue tory, Il compose des brochures politiques qui le préservent d’être oublié, il prendrait son parti de cette existence calme et exempte de soucis ; mais le regret de la grandeur perdue, la nostalgie de ce monde où elle brillait, consument Mrs Ferrars. Bientôt vient s’y ajouter le remords d’avoir fait refuser à son mari, pendant un court retour des tories au pouvoir, un gouvernement colonial qu’elle estime inférieur à ce que ses services et son passé lui donnaient droit d’attendre, et lorsqu’il lui faut se séparer de son fils qui va occuper à Londres un petit emploi dans une administration publique, elle ne résiste pas à ce dernier coup. Ferrars, à son tour, ne se console point de la perte de celle qui a partagé ses peines et ses douleurs ; son humeur s’assombrit, et malgré la société de sa fille, malgré le devoir de veiller sur deux êtres qu’il chérit, il se laisse gagner par le désespoir et met fin à ses jours.

Voilà l’histoire de William Ferrars ; elle est tragique, elle est racontée avec un art extrême, et elle est beaucoup plus intéressante que celle de ses enfans. C’est en vain que l’auteur essaie de nous apitoyer sur ceux-ci. Il est triste de se trouver, à dix-neuf ans, orphelin et sans fortune ; mais n’est-ce rien que d’avoir la jeunesse, la beauté, l’intelligence, l’instruction, un ferme courage et des amis ? Quels si grands malheurs avaient-ils éprouvés jusque-là ? Ils avaient été effroyablement gâtés et habitués à toutes les splendeurs du luxe ; mais ils ont à peine onze ans quand le malheur frappe leurs parens. Des enfans de cet âge sont-ils en état d’apprécier et de prendre fort à cœur des revers de fortune ? « Je crois bien, dit Myra à son frère, que nous n’aurons plus de poneys pour monter à cheval ensemble. » Endymion ne retourne point à Eton, où la pension est trop coûteuse ; il serait le premier écolier qui regrettât le collège, et l’auteur ne lui prête point un sentiment aussi invraisemblable. Ils grandissent l’un à côté de l’autre, sous les yeux de leurs parens, dans un vieux château entouré d’un grand parc, au milieu d’un pays pittoresque, à côté d’aimables et bons voisins qui les recherchent et leur font fête, A seize ans, Endymion vient occuper dans les bureaux de Somerset-House un emploi de commis qu’il doit à l’amitié reconnaissante d’un ancien collègue de son père ; ainsi avait commencé son grand-père, que ce début modeste n’avait point empêché de faire son chemin. Est-il abandonné à lui-même dans l’immense capitale anglaise ? Non, l’ancien secrétaire de son père, Rodney, a épousé la fille de la couturière en renom à qui la protection de Mrs Ferrars avait valu la clientèle du grand monde ; ils ont meublé, dans un bon quartier, une grande