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principautés, ne songeaient guère à s’entendre dans un dessein de défense commune.

L’attention publique fut d’abord éveillée sur les dangers d’un tel délabrement par une publication du général Brignone. Il proposait à ses compatriotes tout un système de défense par terre et par mer, et d’abord, faisant justice des postes de défense érigés le long des côtes, il demandait qu’on les remit au domaine et qu’on préparât une protection plus sérieuse du pays. Il fallait désormais tenir compte de la portée des canons, du poids des projectiles : il fallait prévoir leur puissance, faire entrer dans le plan général un élément nouveau, les chemins de fer, principal instrument de ce qu’on appelle aujourd’hui la « défense mobile, » et qui comprend le transport rapide vers les points menacés des forces stationnées à l’intérieur. L’écrivain militaire était loin de renoncer à « la défense permanente, » c’est-à-dire aux fortifications. Au contraire, il en voulait augmenter la force par la construction de quelques citadelles très redoutables sur la côte, là où les débarquemens seraient plus faciles et offriraient à l’ennemi une bonne position stratégique : Gênes, Livourne, Naples, Syracuse, Palerme, la Spezzia, Tarente, Venise, Messine, Baia, Civita-Vecchia, Brindisi et autres lieux. En tout, vingt et un ports ou villes près de la mer.

Ce nombre était à peine suffisant, et pourtant entraînait des dépenses considérables. Le général en évaluait la somme totale à 70 millions, calcul évidemment trop modeste. Même sans comprendre la construction et la réparation d’arsenaux à la Spezzia, à Venise, à Tarente, il aurait pu doubler le montant de cette appréciation, tout en restant au-dessous de la vérité. C’est le sort des devis d’être inexacts, et l’on sait qu’ils seront toujours dépassés. Se fier à ces estimations préalables, c’est se payer d’illusion, c’est s’exposer, à des déceptions certaines et compter, comme on dit, sans son hôte. On le sentait bien, et la perspective de dépenser les millions par centaines était de nature à faire réfléchir. On ne savait quel parti prendre.

À cette époque, l’Italie était fort gênée. A peine hors de page, elle avait obéré ses finances par les frais de son établissement dans le monde. Il faut bien « monter sa maison » quand on veut faire figure. Elle avait hâte de se montrer l’égale des vieilles nations et ne voulait pas avoir la physionomie d’une parvenue. Elle ne s’était donc refusé aucune des dépenses d’utilité qu’il eût été peut-être plus sage d’ajourner ou de graduer en gagnant du temps. Après son affranchissement, elle avait trouvé tout à faire. Les pouvoirs antérieurs avaient plutôt exploité qu’enrichi le pays. Confiante dans l’avenir et dans la perspective d’une prospérité future,