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lira peut-être avec intérêt, car elles portent la signature de deux femmes pour lesquelles notre temps s’est épris d’un goût assez vif. L’une est de la célèbre Mme d’Épinay, qui devait sans doute à sa belle-sœur, Mme d’Houdetot, la connaissance des Necker, et qui exprimait en ces termes à M. Necker le regret que lui causait sa retraite :


Je sens, monsieur, qu’il est peut-être fort indiscret de vous parler de la peine que je partage avec tout le public, et que j’ose prendre la liberté de vous assurer que personne ne ressent aussi vivement que moi. Tous nos amis communs m’ont interdit l’honneur de vous écrire, mais mon sentiment me commande de vous réitérer l’hommage de ceux que de tout temps je vous ai voué ; j’y joignois celui de la reconnoissance pour tout le bien public que nous devons à votre ministère et pour avoir bien voulu vous occuper de moi dans ces momens de crise. Pardonnez mon indiscrétion, c’est une faute de mon cœur. La grâce et la distinction, que j’ai l’honneur de vous demander, c’est de ne pas me répondre ; je ne vous ai été que trop un sujet d’importunité. Si je puis espérer que dans quelques jours de loisir vous me fassiez l’honneur de me venir voir, vous mettrez le comble à mes vœux. Recevez, avec votre bonté ordinaire, l’assurance de rattachement le plus vrai et de tous les sentimens que la vénération et la reconnoissance peuvent inspirer, avec lesquels je suis monsieur, votre très humble et très obéissante servante.

D’Esclavelles d’Épinay.

À Paris, ce 20 mai 1781.


L’autre est de la marquise de Créquy, dont les pseudo-mémoires, fabriqués par M. Decourchant, avaient fait une personne médisante, à la langue acérée et qui était en réalité une femme spirituelle, sagace et bonne. Son enthousiasme pour M. Necker est d’autant plus significatif qu’elle avait, comme on sait, pour meilleur ami Senac de Meilhan et que celui-ci avait dû tout faire pour l’en dégoûter. « Retirez-vous, polisson ! M. Necker s’avance, » lui avait-elle écrit un jour, et peut-être cette boutade explique-t-elle quelques-uns des sentimens que Sénac de Meilhan portait à M. Necker. En tout cas, il n’avait pas exercé beaucoup d’influence sur son amie, car voici comme elle appréciait la retraite de M. Necker :


À Monflaux, (Bas-Maine), ce 18 aoust[1].

Vous allés pâtir, madame, de ma solitude, car j’ay grande envie de parler. Je suis partie de Paris il y a plus d’un mois, et après avoir été

  1. Si la démonstration n’avait été surabondamment faite, cette lettre achèverait d’établir le caractère apocryphe des Mémoires où Mme de Créquy parle au contraire des Necker en termes presque injurieux.