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roi et de celles de Maurepas lorsqu’il s’était agi de pourvoir à la vacance ouverte au contrôle-général par la mort de M. de Clugny. « Plus d’une fois, dit Sénac de Meilhan, le superbe Necker, enveloppé d’une redingote, est venu attendre chez M. de Pezai, au fond de la remise d’un cabriolet, le moment où il devait revenir de Versailles. » Le malheur, c’est qu’aucun document n’a jamais été produit par Sénac de Meilhan à l’appui de son affirmation malveillante et que ceux des archives de Coppet ne la confirment pas. Ces archives contiennent en effet plusieurs lettres adressées par Pezai (qui écrivait à tout le monde) à M. et à Mme Necker. Aucune de ces lettres ne contient la moindre allusion à quelque service rendu par lui à M. Necker et celle même qu’il adresse à Mme Necker pour la féliciter de l’élévation de son mari est aussi insignifiante que les autres. Or Pezai n’était point homme à laisser oublier un service rendu par lui, et si M. Necker lui avait eu tant d’obligations, il n’aurait pas été en mesure de lui refuser, ainsi qu’il fit plus tard, la succession de M. de Trudaine aux ponts et chaussées.

Il faut donc en revenir, pour expliquer cette élévation, à la raison toute naturelle, c’est-à-dire à la haute estime que M. Necker avait su inspirer de ses talens et aux relations familières que ses fonctions diplomatiques avaient créées entre lui et Maurepas. « Deux conversations avec M. de Maurepas, dit Mme de Staël dans sa notice sur la vie privée de son père, avaient suffi pour le déterminer à proposer M. Necker pour directeur du trésor royal. » Deux conversations, ce n’est pas tout à fait assez dire. Il fallut encore une longue lettre directement adressée par M. Necker à Maurepas et dont l’original se trouve aux archives nationales. Dans cette lettre, écrite au moment où le roi hésitait encore à consacrer le choix de Maurepas, M. Necker s’ouvre à son protecteur avec une habile franchise du désir qu’il éprouve d’entreprendre de commun accord avec lui la tâche de rétablir l’ordre dans les finances. Après avoir commencé par remercier Maurepas d’un billet affectueux, qui, dit-il, « sera sur son cœur toute sa vie, » M. Necker continue en ces termes :


J’ai toujours eu pour amis ceux à qui j’ai pu me montrer à découvert, et la bienveillance que vous montrez, monsieur le comte, m’encourage encore à cet égard. Vous m’aimerez encore davantage quand je pourrai dans une carrière commune vous rapporter tous mes sentimens et toutes mes pensées. Ne craignez donc point de déployer toute votre force ; je vous donne ma parole d’honneur que vous n’y aurez point de regret. Et, sans cette confiance, comment et dans quel but pourrois-je rechercher une place qui ne peut m’intéresser que par le