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reçu, et je vous assure qu’en cela je ne m’envisageois nullement. Au reste, M. Necker se porte à merveille ; il est gros, gras et gai, et si nous avions eu son portrait au conseil, jamais je ne serois parti.

P. S. — Ce que je vois de plus intéressant dans tout ceci, c’est de sauver le ridicule. Ce que je désire beaucoup aussi, c’est qu’on ne m’adresse pas de Genève des lettres sous le titre de ministre de la république. Dans la position où je suis, ce seroit un sobriquet.


Éviter le ridicule était en effet la chose difficile, et noble Philibert Cramer ne devait pas y réussir complètement. Comme il ne savait trop quel parti prendre, M. Necker vint à son aide et lui proposa, avec une courtoisie un peu ironique, de le présenter lui-même au duc de Choiseul comme un membre du Magnifique Petit Conseil de la république de Genève. « M. Necker m’a offert, écrivait Cramer, de me présenter à M. de Choiseul comme un magistrat de Genève, mais, vu ce qui s’est passé, je ne crois pas cela trop convenable, et si je puis me faire présenter à lui d’une autre main, je crois cela préférable. »

Faute sans doute d’avoir trouvé une autre main et plutôt que de recourir à celle de M. Necker, Cramer se détermina à écrire directement au duc de Choiseul pour solliciter une audience ; mais soit qu’il l’eût fait en termes maladroits, soit que le duc de Choiseul fût impatienté de cette insistance, le nouveau refus que le ministre opposa à cette demande d’audience fut tourné d’une façon assez désobligeante pour que Cramer crût devoir s’en retournera Genève, non sans avoir protesté contre l’atteinte que cette lettre portait, suivant lui, à sa dignité et à celle du Magnifique Petit Conseil lui-même. Il fallut que M. Necker s’interposât encore pour empêcher l’affaire de s’envenimer :


M. Cramer est parti lundy dernier, écrivit-il au conseil. Il n’a pas accepté que je le présentasse à M. de Choiseul comme membre du conseil. J’aurois insisté davantage là-dessus s’il n’avoit pas écrit une lettre qui ne rendoit plus cette démarche possible. Il ne recevra pas de réponse de M. le duc à ce qu’il m’a dit hier. Je supprime quelques observations qu’il m’a faites à cet égard comme inutiles à l’heure qu’il est. Je lui ai demandé si, dans la lettre qu’il a écrite à M. Cramer, il avoit eu quelque dessein de mortifier le conseil ou la république, et il m’a assuré que non. J’en étois persuadé et que l’on devoit tout attribuer au motif que je vous ai indiqué.


Il ne restait plus au Magnifique Petit Conseil qu’à couvrir de son mieux la retraite de Cramer. C’est ce que le Conseil crut faire en décidant « d’écrire à M. Necker pour lui accuser réception de sa lettre, le féliciter du retour de sa santé, et lui exprimer les