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thèse et donnât cours à ses passions contre le nouveau régime, elle n’approchait pas des théories audacieusement émises sur l’inamovibilité. A l’entendre, ce n’était point une garantie ; elle n’ajoutait rien à l’intégrité du juge fidèle, elle assurait aux juges corrompus une longue et scandaleuse impunité ou favorisait une coupable indolence. Trahissant sa pensée secrète, le rapporteur allait jusqu’à dire : « Si telle était la disposition des esprits, l’influence des circonstances, qu’il y eût dans la société autant de juges faibles, corrompus, ignorans que de juges courageux, intègres, éclairés, un ordre judiciaire inamovible serait un malheur. » Quel était donc l’intérêt, quelle était l’origine de l’inamovibilité ? Selon M. de Bonald, elle n’était née ni de l’intérêt des justiciables, ni du respect de la justice, mais exclusivement du rôle politique des anciens parlemens, auxquels la royauté avait voulu conférer une garantie propre à assurer le libre exercice du droit de remontrances et la garde des lois fondamentales.

Malgré des argumens historiques si solides, la commission dont M. de Bonald était le rapporteur s’était déclarée favorable à l’inamovibilité, mais, étendant la proposition Hyde de Neuville et s’inspirant du décret de 1807, elle instituait un stage d’un an pendant lequel tout magistrat demeurerait amovible en se bornant à acquérir des titres à l’investiture. La majorité ultra-royaliste transformait un expédient en une mesure définitive. En terminant, le rapporteur faisait un appel à tous ceux qui voulaient sauver la France, traçait le tableau des dangers que courait le royaume, laissant entendre que les juges institués trompaient sa confiance, que les attentats contre l’ordre public n’étaient punis qu’avec faiblesse, et que certains jugemens récens pouvaient avoir pour l’avenir de la royauté des suites plus graves qu’une sédition.

Ce rapport écrit avec art, plein de subtilité et d’adresse, était le manifeste d’une majorité qui ne cachait pas son désir de revenir en tout à l’ancien régime. La discussion devait ajouter fort peu aux argumens du rapporteur. Tout le discours de M. de Bonald ne fut qu’une longue attaque contre les magistrats en fonctions. « Nous savons, dit-il, quelle est la composition actuelle des tribunaux. Un cri général s’élève de tous les points de la France pour réclamer leur réforme. » Il concluait en demandant qu’on ne s’en remît pas du devoir d’opérer l’épuration des cours au ministre qui n’avait pas su les composer, mais qu’une commission de députés fût chargée de ce soin. Ainsi un parti dominant dans la chambre, enflammé des plus ardentes passions, menaçant un ministère plus modéré que lui, voulait décréter une épuration presque totale dans un intérêt exclusivement politique.

L’opinion publique s’était émue du rapport de M. de Bonald : la