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dans le sein de toutes les familles. La magistrature, naturellement ennemie des armes, aspirait plus qu’aucune autre classe de la nation au rétablissement de la paix. L’arrivée subite des Bourbons sembla une délivrance, elle n’hésita pas à saluer le pouvoir nouveau. La cour de cassation donna l’exemple. Dans la matinée du 3 avril, trente-cinq de ses membres (sur 51) rédigèrent une adresse dans laquelle la cour, ne se bornant pas à adhérer à la déchéance votée par le sénat et annoncée depuis la veille, a exprimait l’espoir que la France trouverait enfin le repos à l’ombre de ce sceptre antique et révéré qui, pendant huit siècles, avait si glorieusement gouverné la France. » Le Moniteur du 4 enregistrait ce document, le premier qui contînt dans la feuille officielle une allusion à la maison de Bourbon.

L’impulsion était donnée ; le lendemain, le procureur-général et plusieurs retardataires adhéraient publiquement. La cour de Paris, dans un arrêté portant le nom de Séguier, invoquait les lois fondamentales et appelait au trône le descendant de saint Louis, pendant que le tribunal de la Seine proclamait son adhésion et ses vœux. A l’heure où les magistrats agissaient, Paris ne connaissait pas la défection du Marmont. Les trois compagnies judiciaires qui s’assemblèrent au palais de justice de Paris cédaient donc à la fois à la lassitude générale et à un sentiment qui leur était propre.

Ce qui confond au récit des actes, à la lecture des harangues de ces premiers jours, c’est l’unanimité de compagnies, dans lesquelles des procureurs-généraux, tels que Merlin, des conseillers et des avocats-généraux qui, à la convention, avaient voté la mort du roi, s’empressaient d’acclamer le frère de Louis XVI. Le mouvement fut tel que le Moniteur n’eut à enregistrer ni démission ni révocation. Les gens des parquets demeurèrent tous à leur poste. Les hommes sages qui conservaient l’esprit libre au milieu de ce bouleversement n’étaient pas sans appréhensions en se demandant ce qu’allait devenir l’institution de la justice impériale, si différente des anciens corps judiciaires. Où s’arrêterait-on dans ce retour vers le passé dont les plus ardens donnaient le signal ? Les esprits politiques qui conduisaient les événemens avaient senti le péril et tenté dès le premier jour de le conjurer. En précipitant la rédaction en quelques heures d’une constitution parlementaire instituant une monarchie contractuelle, M. de Talleyrand avait pris dans l’ordie politique les seules précautions que permissent nos défaites. Quel que fut le sort éphémère de cette constitution, elle servait de plan, posnitdes bases et formulait en réalité les conditions auxquelles la société française issue de la révolution et de l’empire acceptait la restauration de l’ancienne monarchie. A côté de l’affirmation alors utile que « nul ne pouvait être distrait de ses juges