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parlement, du conseil d’état et des avocats tels que Tronchet, Target, Treilhard et Duport. Aussi ne tardèrent-ils pas à devenir suspects. Ils ne siégeaient pas depuis un an que les orateurs populaires demandaient le renouvellement du tribunal. C’est le vice de l’élection des juges que la durée la plus brève du mandat paraît toujours trop longue à la foule des justiciables impatiens de changer les hommes et d’exercer ses vengeances. En peu de jours, les conditions de l’électorat furent supprimées, les faillis, les insolvables, les étrangers même devinrent électeurs, et les tribunaux furent dissous. Élus en janvier, installés en avril 1793, les nouveaux magistrats désignés par les sections furent aussi médiocres qu’obscurs. A côté de quelques hommes de loi, on rencontre les professions manuelles les plus diverses. Deux mois après, les plus ardens réclamaient des scrutins épuratoires. Le gouvernement révolutionnaire était installé, et la convention, cessant de recourir aux élections, se chargeait de pourvoir aux vacances. Après la chute de Robespierre, le tribunal renouvelé vit rentrer dans son sein quelques lumières, puis la constitution de l’an ni ramena le régime électoral de 1791.

La réaction contre la terreur fut si vive que les élections de 1797 remplirent les tribunaux de royalistes. Le coup d’état de fructidor se hâta de les en éloigner, suspendit l’élection et confia de nouveau le choix des juges au gouvernement, qui peupla dès lors les tribunaux de ses créatures, singulier mélange de révolutionnaires calmés et de royalistes dissimulant leurs espérances. Cependant la justice cherchait à reprendre son cours régulier. Le 18 brumaire seconda cet effort en rétablissant à tous les degrés cet ordre dans les esprits et dans les institutions que la France, lasse de l’anarchie, ne croit jamais acheter trop cher au prix de sa liberté. Avec la constitution de l’an vin et la loi organique qui la suivit, les corps judiciaires furent constitués. Juges de paix en chaque canton, tribunal de première instance en chaque arrondissement, tribunaux d’appel au nombre de vingt-neuf et au sommet tribunal de cassation, telle était la hiérarchie régulière créée au commencement du siècle. Les mensonges d’une élection judiciaire soumise aux fluctuations politiques furent écartés : ce qui avait pu réussir, au souffle de 89, n’avait cessé depuis de donner des juges animés de l’esprit de faction, tantôt dévoués à la terreur, tantôt aux ennemis de la révolution. Après trois expériences, les partis étaient fatigués de l’élection. Néanmoins le premier consul la conserva pour les juges de paix, afin de ne pas heurter les révolutionnaires. Les résultats en étaient déplorables : « Les juges de paix sont en général mauvais, » assurait Fourcroy, envoyé en mission dans l’Ouest. « Ils abusent de leur nomination par le peuple. » — « Ils sont très