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et son gouvernement semblaient le mieux disposés pour les Polonais, amena contre eux un brusque revirement et une sorte de déchaînement passionné. C’est ce qui explique comment le gouvernement et le pays en vinrent à méconnaître la nationalité polonaise là où précédemment ils ne l’avaient jamais contestée, et s’étaient toujours piqués de la respecter. C’est ce qui fait comprendre, enfin, et les rigueurs d’un prince naturellement doux et humain comme l’émancipateur des serfs, et la politique de russification entreprise par Milutine et ses amis. Dès lors qu’ils furent convaincus que les Polonais ne se contenteraient pas du petit royaume où le patriotisme russe voulait enfermer leur nationalité, qu’à Varsovie, on ne regarderait le pays de la Vistule que comme une base d’opérations pour détacher de la Russie ses provinces occidentales, le tsar et le peuple russes ne devaient voir de solution que dans l’assimilation de la Pologne, dans la destruction de ses privilèges, dans l’abolition de sa constitution spéciale. On devait la dépouiller du titre de royaume et lui arracher jusqu’à son nom pour lui enlever ses espérances et ses illusions ; on devait, à l’exemple de la Prusse dans la Posnanie, l’incorporer au reste de l’empire et chercher à effacer jusqu’au cœur du vieil état lékite toute trace d’individualité nationale. Reste à savoir si cette politique, suggérée par les nécessités et les colères du moment, était en réalité plus pratique et plus sûre. C’était à l’avenir de montrer si elle n’avait pas, elle aussi, ses dangers et ses difficultés, pour ne pas dire ses impossibilités.

Une autre raison décidait l’empereur Alexandre II à substituer en Pologne à la politique relativement libérale une politique dictatoriale radicalement différente. Pour que la Pologne se résignât à demeurer unie à la Russie, il ne pouvait suffire de lui rendre une administration autonome. Le récent insuccès de Wiélopolski en était la preuve ; il lui fallait avec l’autonomie un gouvernement à la fois national et constitutionnel. C’est ce qu’avait tenté Alexandre Ier. L’empereur Alexandre II n’avait pas plus de répugnance que son oncle pour le rôle de monarque constitutionnel ; il le déclarait dans cette audience à Milutine, et au même moment il le montrait publiquement en convoquant à Helsingfors la diète de Finlande, suspendue sous le règne de Nicolas ; mais aux yeux du tsar une diète polonaise ne pouvait être à Varsovie qu’une cause de désordre et d’illusion de plus. Pour lui, l’expérience de 1830 montrait l’erreur d’Alexandre Ier.

Puis, entre le souverain de la Russie et les naturelles prétentions des libéraux polonais, se dressait une fatale et insurmontable barrière qui a été l’une des raisons de l’irréparable malentendu des