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même que M. Ampère, mort aussi près de Pau en 1864, avait trouvé la plus affectueuse hospitalité chez une honorable famille avec laquelle il était lié depuis nombre d’années, ainsi Lanfrey fut, à son arrivée dans le Midi, accueilli avec empressement au sein d’un intérieur qui n’était point nouveau pour lui. Il retrouvait en effet au château de Mont-Joli, près de Billière, la mère et les sœurs d’un ancien camarade dont jadis, à Turin, l’amitié enthousiaste avait été jusqu’à vouloir l’obliger à user de sa fortune, qui était considérable, comme si elle leur était commune à tous deux. La douleur ressentie à la mort prématurée de ce généreux ami avait été la première cause de la liaison de Lanfrey avec les hôtes de Mont-Joli. Il avait reporté sur eux le reconnaissant souvenir des offres de services autrefois refusées, alors qu’il avait trop de raisons de croire qu’il ne serait jamais en état de les acquitter. Ce fut dans ce milieu sympathique, en face du splendide panorama des Pyrénées dont les sommets neigeux, les pentes abruptes et boisées charmaient ses regards en lui rappelant d’autres montagnes chères à son enfance, que Lanfrey vit la mort s’approcher, lente, douloureuse, implacable, adoucie cependant par les soins que lui prodiguaient les membres d’une noble famille qui, après avoir autrefois cherché à lui aplanir les difficultés de ses premiers débuts, s’appliquait maintenant avec toutes les recherches de la plus exquise bonne grâce à lui faire connaître les jouissances jusqu’alors ignorées de la vie d’intérieur. Cette vie dont assurément il était digne, son malheur voulut qu’il ne lui fût donné d’en comprendre tout le charme qu’au moment où ses forces expirantes lui faisaient trop sentir qu’il ne pouvait que l’entrevoir. C’est alors qu’il aurait désiré vivre, et cependant jamais on n’entendit un murmure tomber de ses lèvres. Au dire de l’amie qui veilla la dernière à son chevet et dont l’affection l’aurait arraché à la mort si le mal n’avait pas été sans remède, « ceux qui l’ont vu à ses derniers momens éprouvaient un sentiment de respect et d’admiration à la place de la pitié qu’on éprouve ordinairement devant la souffrance physique. Jamais un signe de faiblesse ou de découragement. Un mot tendre et affectueux lui faisait venir les larmes aux yeux. » Est-il besoin d’ajouter que les lettres attristées des amis absens ne cessèrent jamais d’arriver en abondance au pauvre malade, accueillies par lui comme la plus précieuse distraction à des douleurs devenues chaque jour moins supportables ? Auprès de son fauteuil, quand il se faisait transporter dehors, autour de son lit, quand il lui fallait garder la chambre, il prenait plaisir à placer tous les menus souvenirs, les fleurs surtout, que lui envoyaient de Paris les fidèles correspondantes auxquelles étaient adressées les lettres que nous avons