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enfin sur tout le corps de la magistrature un véritable despotisme. Tôt ou tard, cette cour deviendrait tellement omnipotente, qu’il ne serait plus possible de la contenir, et, comme elle est composée d’élémens internationaux, la justice égyptienne, en dépit de la bonne volonté de la majorité des magistrats, deviendrait le champ clos des compétitions européennes, la lice où toutes les puissances se disputeraient le droit de gouverner l’Égypte ou d’y faire prévaloir leur autorité. De là la nécessité de diviser les pouvoirs que l’on a eu le tort de concentrer en une seule assemblée, et d’arriver à une sorte d’équilibre qui mettrait un terme aux tentatives d’une domination unique et absolue. En France, les cours d’appel ne jugent qu’en fait ; la cour de cassation seule est souveraine en matière de droit ; l’autorité disciplinaire est partagée entre cette dernière, les présidons de cour d’appel et le ministère de la justice représenté par le parquet ; quant à l’autorité administrative, elle reste à des tribunaux spéciaux. Cette organisation prudente, qui ne permet à personne d’abuser de ses droits pour opprimer ceux du voisin, a de plus l’avantage judiciaire de fournir aux plaideurs la ressource d’une troisième instance. Cette ressource existait en Égypte sous le régime consulaire ; puisque les jugemens des consulats pouvaient être portés d’abord à la cour d’Aix, puis à la cour de cassation. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Une cause perdue en seconde instance à la cour d’appel d’Alexandrie est définitivement jugée ; l’arrêt est décisif sur le fait et sur le droit ; fût-il manifestement entaché d’injustice, il n’y a plus à y revenir. Ce n’est point faire insulte aux conseillers d’Alexandrie que de les comparer à nos conseillers français. Tout le monde est d’avis que ceux-ci peuvent se tromper ; ils se trompent en effet fort souvent, puisque la cour de cassation réforme un grand nombre d’arrêts rendus par eux. Pourquoi la cour d’appel d’Alexandrie jouirait-elle seule de ce privilège de l’infaillibilité que l’on ne reconnaît à aucune cour européenne ? Il est certainement beaucoup plus difficile à une assemblée internationale, qui subit mille influences morales et matérielles, qui est placée d’ailleurs dans un pays connu depuis des milliers des siècles pour l’action amollissante et délétère qu’il exerce sur les caractères et sur les esprits ; il est beaucoup plus difficile à cette assemblée de garder toute sa lucidité et toute son impartialité de jugement qu’aux assemblées du même genre de l’Europe. Et cependant, on lui accorde en Égypte ce qu’on lui refuserait sans hésiter en Europe. Est-ce logique ? Est-ce raisonnable ? Est-ce prudent ?

Enlever à la cour d’appel d’Alexandrie le jugement des causes administratives serait impossible, car on ne trouverait point en