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réunion de faits, d’ordres, d’opérations, de charges et de sacrifices qui sont imposés par l’intérêt générale, doivent être supportés dans de justes proportions par tous les sujets de l’état ; mais qu’il a plutôt exercé l’autre fonction toute subjective dans laquelle l’administration doit être considérée comme une personne civile, comme un être moral, juridique, égal à tout autre particulier devant la loi, soit pour ses droits, soit pour ses obligations, et par suite soumis, en vertu de la règle universelle de tout état juste et civilisé et suivant les termes de l’article 40, titre 1er du règlement d’organisation judiciaire, à l’instar de tout autre particulier, au pouvoir judiciaire ordinaire, etc. » — Ainsi, d’après la cour d’appel d’Alexandrie, lorsque le gouvernement égyptien, constatant lui-même l’état de déconfiture dans lequel il était tombé, prorogeait les échéances de ses dettes et en préparait la conversion générale, il n’agissait pas comme représentant intégral de la puissance publique, mais comme un simple particulier justiciable des tribunaux ; il n’exerçait pas la fonction objective de l’état, il jouait tout bonnement le rôle subjectif d’un débiteur obéré qui ne peut pas payer. Il est étrange qu’une pareille théorie ait été solennellement proclamée par une cour que préside un Autrichien et dont un des conseillers les plus éminens est un Italien. Qu’aurait dit l’Autriche, qu’aurait dit l’Italie, lorsqu’elles ont réduit l’intérêt de leurs dettes, s’il s’était trouvé devant elles un tribunal pour pré ; tendre qu’en agissant ainsi, elles n’usaient pas d’un droit souverain, qu’elles tombaient sous le coup des aphorismes de Grozio, et qu’elles devaient être condamnées en justice comme un vulgaire débiteur insolvable ? Il n’y avait rien dans les traités sur la réforme judiciaire, rien dans le code civil qui justifiât les prétentions de la cour d’Alexandrie ; car on n’avait pas prévu en les rédigeant, car aucune législation ne prévoit l’hypothèse de la faillite d’un gouvernement. Quand, à des époques diverses, presque toutes les puissances de l’Europe, et en dernier lieu l’Autriche et l’Italie, se sont vues acculées à la nécessité de manquer à leurs engagemens financiers et d’imposer à leurs créanciers des sacrifices plus ou moins importans, ce n’est pas dans les lois ordinaires qu’elles ont cherché la justification de pareilles mesures : elles ont invoqué le droit imprescriptible et supérieur de l’état, lequel, faisant les lois, peut dans les cas de force majeure, suppléer souverainement à l’insuffisance de celles qui existent. D’où vient donc que les magistrats internationaux de la cour d’appel d’Alexandrie aient dénié au gouvernement égyptien un droit que les gouvernemens de leurs pays respectifs n’ont jamais abdiqué ? D’où vient qu’ils aient traité l’Égypte comme aucune nation du monde n’a été traitée, si ce n’est après une conquête à main armée ?

L’arrêt de la cour d’appel d’Alexandrie dans l’affaire Carpi