Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/303

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sanieh du khédive, dont les bons, devant être convertis avec l’ensemble de la dette, avaient été prorogés jusqu’à la conversion. L’affaire, portée devant le tribunal de commerce, avait abouti à une déclaration d’incompétence de la part de celui-ci. Interprétant ses droits avec justesse et modération, le tribunal de commerce avait refusé d’apprécier la légalité du décret qui prorogeait l’échéance des bons et assignations de la dette publique ; il avait laissé le demandeur libre de s’adresser à son consul pour protester par la voie diplomatique contre une mesure qui pouvait être en contradiction avec les traités, mais qui rentrait certainement, par sa nature et ses conséquences, dans la compétence de l’état égyptien. La cour d’appel d’Alexandrie n’éprouva pas les mêmes scrupules. Examinant l’influence que les lois ou les ordonnances administratives exerçaient sur l’action des tribunaux mixtes, elle déclara que le décret par lequel le khédive avait prorogé les échéances de la dette publique ne devait pas être « appliqué comme loi capable de modifier ou d’atténuer l’empire des codes, par cela seul qu’il n’avait pas été émis dans les conditions stipulées par l’article 12 du code civil et avec le concours des personnes compétentes. » C’était, comme on le voit, exiger que la magistrature prît directement part à la confection des lois et devînt le régulateur même de la puissance législative. La cour d’appel établissait plus complètement encore, au moyen d’une ingénieuse théorie, la dépendance dans laquelle elle voulait placer le gouvernement vis-à-vis d’elle. — « Considérant, disait-elle, que le décret du khédive n’a pas respecté le double attribut que l’on peut séparer dans toute administration publique, et qui comprend le jus imperii, en vertu duquel un gouvernement, dans la généralité et l’impersonnalité de ce droit, établit une règle obligatoire pour tous sans blesser exclusivement les rapports qu’il peut avoir éventuellement avec une personne ou une classe de personnes, et le jus imperii vel gestionis, en vertu duquel ce même gouvernement, selon la locution de Grozio, reproduite par les plus célèbres publicistes, n’est pas integrum, c’est-à-dire représentant de la société tout entière, mais sans contredit pars integri, et par là soumis, comme tout autre citoyen aux dispositions des lois générales qui règlent les rapports de tous les individus et de la société civile ; qu’en conséquence, il est certain que le gouvernement égyptien, en acceptant le 22 avril 1875 les traites de la daïra sanieh, établissant l’obligation d’en payer le montant au porteur à l’échéance convenue, et en décrétant sans autre forme, le 6 avril dernier, que cette échéance établie par engagement devait être prorogée de trois mois, n’a pas exercé la fonction tout objective qui caractérise l’administration publique, cet élément organique de l’état, cet être impersonnel qui coopère au grand mouvement social, à cette