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justice européenne sur la justice orientale, sont venues se joindre des difficultés matérielles qui les ont fortement éloignés des nouveaux tribunaux. Nous voulons parler de l’élévation tout à fait exagérée des frais de justice. Dans aucun pays du monde, la justice ne coûte aussi cher qu’en Égypte ; le moindre procès y devient ruineux ; bien souvent les dépenses sont si fortes, qu’elles égalent ou dépassent même les avantages qu’on pourrait retirer du gain d’un procès. Pour donner une idée de ce que peut coûter un procès en Égypte, il nous suffira de dire qu’un jugement par défaut y entraîne déjà une dépense de 928 piastres, soit 245 fr. 50 environ. Et ce n’est là qu’un début ! Si l’affaire se poursuit, les frais font la boule de neige, et lorsqu’on arrive à l’issue du procès, on a dépensé quatre ou cinq fois plus qu’on ne l’aurait fait en France ou dans tout autre pays européen. Nous ne parlons ici que des frais de justice. Mais les honoraires des avocats et des mandataires doublent ou triplent encore cette première dépense. Un usage, sévèrement proscrit chez nous, permet aux avocats égyptiens de prendre pour ainsi dire des procès à forfait : s’ils gagnent leur cause, ils ont une part déterminée et toujours très grande des profits. On ne se tourmente pas de savoir si cette coutume, en faisant des avocats de véritables parties, ne nuit point à leur dignité et à leur indépendance. Ce genre de scrupules, si commun dans les barreaux d’Europe, est tout à fait inconnu du barreau d’Égypte. Quant à la classe nombreuse des mandataires, on peut dire qu’elle est un véritable fléau pour les plaideurs indigènes. Comme ces derniers ne comprennent rien aux formes de notre justice, ils sont complètement à la merci d’une nuée d’exploiteurs qui les pillent sans miséricorde. A peine arrivés à la gare du chemin de fer de la ville où est situé le tribunal près duquel ils vont se présenter, ils sont assaillis par des hommes prévenans qui s’emparent d’eux, qui s’offrent à les diriger dans le dédale des greffes et des tribunaux, qui se chargent de leur expliquer leur affaire et les moyens de la traiter avec succès. Très souvent, ces hommes prévenans sont de véritables escrocs qui abandonnent subitement les malheureux plaideurs après leur avoir arraché des sommes plus ou moins importantes. Quand ce ne sont pas des escrocs, ce sont en général des gens sans compétence, incapables de soutenir la cause dont ils se chargent. Leurs services presque nuls doivent être pourtant très chèrement rétribués. Le règlement judiciaire avait donné aux tribunaux le droit d’exercer une sévère discipline sur ces dangereux mandataires ; mais, par malheur, la cour d’appel s’étant réservé la faculté de lever les mesures de répression prises par les tribunaux, cette discipline est devenue presque illusoire. On comprend, en effet, que des magistrats placés sur les lieux où les mandataires exercent leur