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mandataires dépendent également d’elle ; les tribunaux ne peuvent les exclure de leur barre sans son autorisation.

Ainsi la cour d’appel d’Alexandrie, juge du fait et du droit, puisqu’elle n’a pas au-dessus d’elle une cour de cassation, ne possède pas seulement des pouvoirs judiciaires supérieurs à ceux de toutes les autres cours du monde ; elle s’est arrogé en outre les pouvoirs disciplinaires et administratifs qui, partout ailleurs, appartiennent concurremment au ministre de la justice, au parquet et aux présidens des tribunaux. Elle a été plus loin encore. Empiétant cette fois sur les attributions du ministre des finances, elle s’est emparée de l’administration des frais de justice, qui ont dû être versés à sa caisse et dont elle a conservé la libre disposition. Au moment où l’Égypte traversait une crise financière terrible, où la cour condamnait le khédive à payer toutes ses dettes avec des intérêts exorbitans, au moment où aucun fonctionnaire public ne recevait de traitement, où la disette était universelle, la cour disposait dans une maison de banque d’Alexandrie des sommes importantes destinées à assurer le paiement intégral de l’indemnité des magistrats à l’expiration de la période quinquennale. Il ne lui suffisait pas d’assurer le présent ; elle voulait, de plus, garantir l’avenir, donnant ainsi, au milieu de la détresse universelle, le spectacle d’une édifiante prospérité. Les sacrifices n’étaient pas faits pour elle, et lorsqu’on lui disait que sa conduite pouvait donner lieu à des interprétations fâcheuses, elle répondait qu’au contraire la dignité de la magistrature était intéressée à ce que les magistrats ne perdissent pas une piastre de leurs émolumens actuels et futurs, et ne fussent pas exposés à subir la loi commune. Quelque opinion que l’on professe sur cette manière de comprendre la dignité de la magistrature, il n’en est pas moins vrai que les traités ne donnaient pas à la cour d’appel le droit de se créer un budget à part, administré par elle en dehors de l’état[1]. Si le gouvernement avait fait saisir dans la banque où ils étaient déposés les fonds des magistrats, il n’aurait certainement pas dépassé ses pouvoirs. Mais son action aurait été jugée par les magistrats eux-mêmes, et il n’est que trop clair qu’elle aurait été sévèrement condamnée.

En résumé, si nous avons réussi à exposer nettement la situation

  1. Cette opinion n’est pas celle de la cour. M. Lapenna a toujours soutenu qu’en vertu des capitulations, tous les frais de justice devaient revenir aux tribunaux, qu’aucune partie ne pouvait en être employée à un autre usage que celui du service judiciaire. On a trouvé dans les capitulations des choses bien étonnantes, mais rien à coup sûr d’aussi extraordinaire que ce que le vice-président de la cour d’Alexandrie y a rencontré ! Il est bon d’ajouter que, si les frais de justice sont insuffisans pour le service judiciaire, le gouvernement est tenu de parfaire la différence. C’est de cette manière que les capitulations lui imposent, paraît-il, des devoirs et le privent de tout droit.