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chose à se défier un peu de Voltaire. Il reste au moins que la Comédie-Française est vraiment une école, et qu’en somme, pour avoir cédé quelquefois au courant de la mode ou de la popularité, cependant on peut dire qu’elle n’a pas trop dégénéré de ce que j’appellerai la dignité de son institution primitive.

On sait assez comment elle fut fondée. La mort de Molière avait jeté sa troupe dans le désarroi. Quelques-uns de ses meilleurs sujets, — la Thorillière, Baron, Beauval et sa femme, — avaient passé chez les comédiens rivaux de l’Hôtel de Bourgogne. Lulli, très habile en intrigues, très âpre au soin de son intérêt personnel, et l’homme du monde qui se piquait le moins de reconnaissance, s’était même emparé de la salle du Palais-Royal. De sorte que l’on se fût trouvé sur le pavé pour la saison de 1674 si la déconfiture d’une autre entreprise théâtrale n’eût permis aux compagnons de Molière de louer la salle de la rue Guénégaud. Le Registre de La Grange nous est un témoin fidèle qu’on y vécut assez misérablement. La faveur sembla retourner aux comédiens de l’Hôtel de Bourgogne. La veuve de Molière, plus tard Mlle Guérin, essaya vainement de réunir sa troupe à la troupe de l’Hôtel de Bourgogne. Les frères Parfaict nous disent qu’elle fut repoussée durement[1]. Il fallut que l’autorité de Louis XIV intervînt et que l’ordonnance du 21 octobre 1680, — que les frères Parfaict appellent, je ne sais pour quelle raison, une lettre de cachet, et datent du 22 octobre, — imposât la réunion ou, comme on disait alors, la jonction. Le roi lui-même avait arrêté la liste des acteurs qu’il gardait à son service, et réglé la distribution nominative des parts. Si nous rappelons ces détails, ce n’est pas qu’ils soient bien nouveaux, puisqu’ils ne datent pas de moins de deux cents ans, ni qu’ils soient ignorés, puisque depuis une quinzaine de jours on peut dire qu’ils traînent un peu partout. Mais, en vérité, n’étaient quatre vers de l’à-propos que M. Coppée a composé pour la circonstance, le seul nom que l’on eût oublié de prononcer en cette fête anniversaire de la fondation de la Comédie-Française, c’eût été le nom de Louis XIV, c’est-à-dire, comme vous voyez, le nom du véritable fondateur. Fâcheuse ingratitude ! car ce ne fut pas un coup d’arbitraire, un caprice d’autorité, que cette ordonnance du 21 octobre 1680. Si Louis XIV réunissait les deux troupes : c’était qu’il voulait rendre « les représentations des comédies plus parfaites, » et s’il débarrassait la troupe ainsi

  1. Voici le texte des frères Parfaict : « Mlle Molière et ses camarades se trouvèrent ainsi en très peu de temps sans protection… Cette situation était violente ; aussi leur fit-elle prendre la résolution de faire proposer aux comédiens rivaux de l’Hôtel de Bourgogne de se joindre à eux ; mais ceux-ci les refusèrent et même assez durement. » (T. XI, p. 295.) Je cite le teste, en le livrant aux discussions des spécialistes, parce que M. Édouard Thierry, dans sa Notice sur La Grange, — Registre de La Grange, p. XVIII et XIX, — prétend qu’il n’eût dépendu que de La Grange de faire la jonction dès 1673.