Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la première (31,000) n’était pas même la moitié de celui de la seconde (79,000), l’armée anglaise subit une peste qui était relativement double ou triple de celle de l’armée française. Le fort de Malakoff est pris au mois de septembre ; mais les forts du Nord résistent encore, la paix n’est pas faites et un second hivernage est probable ; l’expérience du passé a parlé, que va-t-il arriver ?

Les Anglais, à l’instigation du corps médical, imaginent cette baraque, si bien conçue sous le rapport de l’hygiène, qui est connue depuis sous le nom de Crimean hut. Les vêtemens de flanelle, les bas de laine, les conserves alimentaires affluent en Crimée, et l’armée anglaise, chaudement logée, bien nourrie, bien vêtue, passe l’hiver à l’abri de toutes ces causes de mort qui avaient si puissamment et si malheureusement agi sur elle pendant l’hiver précédent.

L’administration française, omnipotente dans son incompétence, imprévoyante à l’extrême, malgré les avis réitérés de Scrive, de Baudens, de Michel Lévy, ne veut pas comprendre qu’elle n’a plus affaire à une armée fraîchement débarquée, ayant en quelque sorte apporté avec elle une provision de santé aujourd’hui épuisée, mais à des hommes affaiblis, harassés par les fatigues d’un long siège, débilités par les privations, à des hommes enfin qui sont tous plus ou moins en imminence morbide et préparés à être la proie de cette maladie qu’engendrent la misère et l’encombrement, le typhus des camps. Et alors, dans ces six mois d’hiver, pendant que nous n’avons que trois cent vingt-trois blessés et les Anglais cent soixante-cinq, l’armée anglaise perd six cent six hommes ; l’armée française, grâce à l’imprévoyance de l’administration et à l’obstination de l’intendance, perd par les maladies vingt et un mille cent quatre-vingt-dix hommes !

Est-il juste de rendre l’administration militaire responsable de pareils malheurs ? Le corps médical en possession de sa légitime indépendance eût-il pu les prévenir ? Qu’on en juge ! les faits parlent par eux-mêmes. Le corps médical conseille des mesures, l’intendance les rejette ; les Anglais les adoptent et ne laissent à nos médecins que le regret de leur impuissance.

Scrive, médecin en chef de l’armée, demande à l’intendance la création d’un hôpital à Smyrne ; l’intendance refuse, les Anglais adoptent à leur profit le projet de Scrive. Michel Lévy, inspecteur du service de santé, demande la transformation de deux navires en hôpitaux flottans ; l’intendance refuse, les Anglais adoptent à leur profit le projet de Michel Lévy. Dans le second hiver, nos souffrances, notre pénurie forent telles, que le général anglais Storks, touché de nos misères, crut devoir et pouvoir proposer d’aller