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caractéristique de l’homme, du temps et du pays. À cette offre singulière qu’en d’autres états un homme comme lui aurait pu trouver blessante ou déplacée, Milutine répond avec le calme et le sérieux imperturbable, toujours de mise en un état d’absolutisme bureaucratique. Le refus longuement motivé est formulé en termes modestes et modérés à travers lesquels perce à peine une nuance d’humeur ou d’ironie contenue. Cette proposition qu’il eût été en droit de prendre comme une manœuvre de faux amis ou de rivaux désireux de le faire disparaître de l’horizon politique, l’ancien adjoint du ministre de l’intérieur l’accepte comme un honneur, et une faveur ; il la repousse seulement comme trop lourde pour son instruction, en se fondant sur son défaut de spécialité et de qualités techniques, en montrant qu’il n’y avait pas chez lui l’étoffe d’un bon bibliothécaire.


N. Milutine à M. G., ministre de l’instruction publique.


«  Paris, 22 avril/4 mai 1863.

« Très honoré A. V… vitch,

«  Je n’ai reçu votre lettre qu’avant-hier et je m’empresse de vous remercier de tout cœur pour cette nouvelle preuve de bon souvenir, de constant et amical intérêt. Je vous dirai sans détours que la place de directeur de la Bibliothèque impériale conviendrait beaucoup à mes goûts. Une modeste et tranquille vie de cabinet, loin de m’effrayer, a toujours à mes yeux été pleine de charme et d’attrait. Mais ma conscience soulève de sérieux scrupules que je ne puis ni ne dois vous cacher. D’abord la direction de la Bibliothèque exige, avec certaines connaissances techniques, une connaissance des langues étrangères dont par malheur je suis également dépourvu. Si les premières peuvent encore s’acquérir, je crains qu’à mon âge et avec mon incapacité pour les langues étrangères, je ne doive désespérer de la seconde[1]. Ensuite le poste que vous m’offrez appartient de droit à un savant ou du moins à un bibliographe. L’expérience administrative n’est pas, il me semble, nécessaire à la Bibliothèque, surtout après les récentes améliorations faites par le dernier directeur et qu’il suffirait de poursuivre. En de telles circonstances, ma nomination ne serait-elle pas un passe-droit vis-à-vis d’autres personnes ayant plus de titres à de telles fonctions ?

« Le second de mes scrupules est d’un caractère plus personnel.

  1. Milutine ne savait très bien que le français, un peu l’allemand et pas du tout l’anglais et les langues du Midi.