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origines primitives, c’est faire remonter son âme, et dans les flots de lumière en laver les souillures.

Je me contente de donner ici l’interprétation de M. Boïto en admirant une fois de plus qu’on ait pu traduire en musique tant de philosophie et la rendre intéressante au théâtre. Le prologue expose les conditions du drame. Méphistophélès engage le pari avec l’Éternel. « Mais s’écrie-t-on, quelle mise en scène donnerez-vous à tout cela ? » Rien de plus simple : l’espace et l’azur. Les nuages s’entr’ouvrent, les voix séraphiques se répandent, l’esprit du mal parle, invisible et l’incréé lui répond ; les nuages se referment, et nous voici sur la terre où commence l’épisode de Marguerite, nous devrions dire : l’incident, — traité par le compositeur dans le sens le plus moderne et tout réaliste. Il paraît même qu’à Londres, pendant la saison dernière, la Nilsson obtenait un effet très neuf en appuyant sur cette note et par son jeu et par son costume, représentant en artisane, en vraie Gretchen, ce personnage dont M. Gounod nous avait fait une Iphigénie en Aulide. Aussi peut-on aisément se figurer l’éclatant contraste, lorsque la belle Suédoise, dépouillant la cornette et la jupe d’étoffe grossière, se montrait sous les traits d’Hélène. La rentrée de Faust chez lui, après la promenade avec Wagner, est marquée par un morceau superbe :

Dai campi, dai prati…


Vous croiriez entendre une de ces inspirations comme en avaient les Giotto de la musique italienne ; et quelle sérénité lumineuse dans la phrase qui suit :

Son pieno d’un sacro mister.


Nous en sommes encore au culte de la nature. Plus tard, à l’apparition d’Hélène succéderont d’autres transformations ; en attendant, le diable est proche et Gretchen aussi. Point de ritournelle pour l’annoncer : un simple rappel de la phrase récitée par Méphisto dans le prologue ; quelque chose de gouailleur, de ricanant ; rien de Lucifer, le grand archange révolté, mais un simple démon, le démon d’un incident de la vie terrestre, un diable qui « voulant le mal produit le bien » et très peu sûr au demeurant de son affaire ; preuve qu’il sera berné. Le deuxième acte s’ouvre avec la scène du jardin ; un intérêt capital s’attache au quatuor qui débute par cette naïve question de Marguerite : « Quelle religion est la tienne, Henri ? crois-tu en Dieu ? » À cette phrase d’une anxiété