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s’émerveiller, c’est du succès qui partout l’accueille. Les choses, à la vérité, ne se passèrent point toujours ainsi, : l’ouvrage qui triomphe aujourd’hui fut conspué, il y a dix ans, lors de sa première apparition. Il en coûte sauvent de vouloir devancer l’heure : demandez plutôt au Barbier de Séville de Rossini, sifflé à Rome, au Freischütz de Weber, hué à l’Odéon. Bien en prit donc à M. Boïto d’en appeler du public de cette première soirée au public d’aujourd’hui, formé au style et mûr pour les œuvres de ce genre. Et d’abord, qu’on se rassure, l’excentrique ni le transcendantal n’entrent ici pour rien. Dans cette partition absolument romantique et toute pleine de surprises, c’est encore le caractère italien qui prédomine.

Tandis que Richard Wagner, d’ailleurs plus Scandinave qu’Allemand, conserve partout l’empreinte du génie germanique, l’école qui, en Italie, procède de Wagner, est plutôt une école cosmopolite. Pour M. Boïto comme pour Bellini, la musique reste la langue naturelle ; seulement l’âme du musicien, parcourant d’autres sphères, exprime d’autres pensées, entend d’autres harmonies, son Faust a cessé d’être un héros d’anecdote, c’est l’humanité même, l’âme humaine se prolongeant par delà une mort apparente et sauvée par l’idéal. Marguerite, — disons Gretchen, le diminutif sied ici mieux, — Gretchen joue son rôle dans ces petites tentations terrestres du démon, mais, par Hélène, Faust échappe à Méphisto, qui, battu de la pluie de roses, retourne à son néant, à ses ténèbres. Il a nié tout, il est vaincu. par « Ce qui est, » l’Éternel a gagné son pari. M. Boïto ne copie point et surtout il n’enlumine pas ; il regarde, mesure le chef-d’œuvre et le rend avec autorité après se l’être assimilé sans trouble : celui-là connaît Goethe.

Le prologue a donc son écho dans l’épilogue, et c’est entre l’appel des trompettes précédant le lever du rideau et l’Ave final des phalanges célestes affirmant l’Être que se déroule le spectacle de toutes les croyances, traversé seulement par la note stridente de celui. qui nie et qui raille,

L’Inno ideale !
La nota umana faticosa e grave
Qui non si pave,
Ave !


Ainsi chante le second chœur célébrant l’unité du drame. Si Faust avait trouvé sa fin après la mort de Marguerite, si pour cet amour terre à terre (si pathétique et si trafique qu’il soit) l’âme humaine pouvait s’être perdue, que resterait-il de ses grandeurs, de sa soif de l’infini ? Non ! l’humanité, déchue par ses instincts bornés, ses vues étroites, se rachètera dans l’idéal ; aimer Hélène, c’est revenir à la hauteur de ses