Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sérieux devoir d’examiner jusqu’à quel point il devrait demeurer un instrument entre les mains de ceux-ci. » Bien que M. Forster eût terminé en renouvelant la déclaration que l’ordre serait maintenu, son discours produisit une vive émotion au sein de la chambre. D’un côté, M. Dillon s’écria que, si une mesure de justice pour l’Irlande ne pouvait être obtenue que comme le corollaire de mesures correctives, il fallait accepter le marché et pousser immédiatement l’agitation à ses dernières limites ; de l’autre, les conservateurs virent dans les paroles du ministre une menace peu déguisée à l’adresse des propriétaires irlandais. Cette impression s’accrut par les commentaires de la presse. On demeura convaincu que le gouvernement se préparait à proposer de nouveau la suspension, sinon la suppression du droit d’éviction. Le 26 août, lorsqu’il s’agit de voter la solde des constables irlandais, lord Randolph Churchill et, après lui, M. Gibson, mirent le gouvernement en demeure, dans les termes les plus énergiques, de faire connaître nettement « la nouvelle politique » qu’il semblait vouloir adopter dans les affaires irlandaises et de déclarer s’il entendait acheter le maintien d’une tranquillité apparente en sacrifiant la sécurité et les biens des propriétaires irlandais.

M. Forster se borna à répondre qu’on avait mal interprété ses paroles et qu’on ne pouvait mettre en doute sa résolution de faire respecter les lois existantes. Ce fut alors le tour des autonomistes de se récrier et, par voie de protestation, ils annoncèrent la détermination de ne pas laisser voter la solde des constables. On vit alors se reproduire les scènes de 1878 et cette nouvelle tactique parlementaire qui a reçu le nom d’obstruction. Chaque fois que le président se préparait à mettre le crédit aux voix, un député irlandais présentait et développait une motion d’ajournement qui était rejetée par la majorité : le résultat du scrutin était à peine proclamé, qu’une nouvelle motion d’ajournement était proposée et appuyée. La soirée et la nuit se passèrent ainsi : les députés autonomistes s’étaient partagés en trois sections qui se relayaient de façon que deux d’entre elles pussent prendre quelques heures de repos pendant que la troisième demeurait sur la brèche. Il va sans dire que les ministres et leurs amis avaient suivi cet exemple : leur tâche se compliquait de la nécessité d’avoir toujours plus de quarante députés dans la salle pour que la séance ne pût être levée de plein droit : ils y parvinrent avec le concours d’un certain nombre de conservateurs. Le président des comités s’était pourvu, de son côté, de plusieurs remplaçans pour que le bureau fût toujours occupé. Au bout de vingt-une heures de lutte, un compromis intervint entre M. Parnell et lord Hartington. Le ministre promit qu’une séance entière serait accordée aux députés irlandais pour