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adoption immédiate et d’une prompte application, le gouvernement. dut abandonner son article additionnel pour obtenir un vote favorable des deux chambres ; mais comme il avait pris un engagement, au moins moral, vis-à-vis des députés irlandais, il annonça qu’il ferait des dispositions qu’il retranchait de la loi l’objet d’un bill spécial.

Telle fut l’origine du bill des indemnités pour trouble de jouissance (Compensation for disturbances Bill), qui devait occuper inutilement une grande partie de la session, bien qu’il n’eût figuré à aucun degré dans le programme ministériel et que rien n’en eût fait prévoir la présentation. La législation de 1870 qui avait pour objet de régler la question des droits des tenanciers, demeurée si longtemps comme un brandon de discorde entre les mains des agitateurs irlandais, avait eu le caractère d’une transaction entre les fermiers et les possesseurs du sol. Elle avait renfermé les droits des propriétaires irlandais dans des limites beaucoup plus étroites que celles où se meuvent les propriétaires d’Angleterre ou d’Ecosse. Elle avait accordé aux tenanciers un droit de préférence pour la continuation ou le renouvellement de leur occupation : elle les avait autorisés à céder ce droit contre argent ; enfin elle leur avait reconnu, en cas de non-renouvellement de leur bail, le droit à une indemnité pour les travaux d’amélioration exécutés par eux ou les amendemens dont l’effet utile n’était pas épuisé ; mais en même temps elle avait laissé subsister en faveur des propriétaires le droit de congédier sans indemnité, après mise en demeure et jugement obtenu, le tenancier qui ne payait pas son fermage depuis plus d’une année. C’était ce dernier droit que le bill proposait de suspendre pendant deux années, dans dix-sept comités d’Irlande, mentionnés comme souffrant de la famine. Le bill confiait au juge de la cour du comté le droit d’annuler les ordonnances d’éviction quand le tenancier pouvait prouver que son impuissance à payer résultait de l’avortement de sa récolte, et quand le propriétaire se refusait à accepter « des propositions raisonnables. » Dans ce cas, le propriétaire ne pouvait persister à renvoyer son tenancier qu’en lui payant une indemnité égale au fermage de sept années. Cette mesure que les autonomistes irlandais se hâtèrent de déclarer vaine et insignifiante fut accueillie par les conservateurs et par les libéraux modérés comme une monstruosité. Les propriétaires irlandais y virent une confiscation de leurs droits ; les propriétaires anglais et écossais y virent une menace pour eux-mêmes par la création d’un précédent qui pourrait plus tard leur être appliqué. La loi, en ne posant aucune règle, en ne spécifiant aucune condition, livrait les propriétaires à l’arbitraire du juge de comté qui avait à apprécier, d’après ses seules impressions, les causes de l’insolvabilité du tenancier et le mérite plus ou moins raisonnable des