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sa fatigue était évidente, soit qu’elle ait été l’effet d’un manque de courage pour résoudre la question cubaine en présence de l’attitude du général Martinez Campos, explication qui n’a pas été donnée, mais qui avec la précédente constitue probablement la vérité tout entière, le fait grave, c’est la position dans laquelle on a placé le roi. En effet, M. Canovas conseilla au roi, — et malheureusement le conseil a été écouté, — non pas de lui donner un successeur dans son propre parti, mais d’appeler en audience particulière les chefs des partis libéraux dynastiques ; le ministre se dérobait ainsi à la responsabilité de la situation qu’il avait créée. Dans ces circonstances, un appel aux libéraux devait évidemment exciter chez eux l’espérance d’arriver au pouvoir dont ils sont exclus depuis la restauration, et du moment où il fut avéré que le roi déciderait seul cette grave question, il devenait inévitable que le ressentiment du parti retombât sur lui, d’autant plus amer que les espérances avaient été plus vives. Il ne faut donc pas s’étonner que, dans l’irritation du premier moment, les amis de M. Sagasta aient prononcé le mot de mystification et repris l’ancienne attitude qui eut pour résultat avant 1868 l’impopularité, puis l’exil de la famille royale. Il y a quelques mois, le président du conseil des ministres d’Italie, M. Cairoli, ancien républicain, se jette au-devant du poignard de Passanante et fait au roi Humbert un rempart de son corps. M. Canovas, autrefois modèle des monarchistes fidèles dans le malheur, laisse son roi découvert devant les haines antidynastiques.

Il convient de dire ici quelques mots des différens chefs de parti, en commençant par celui qui a été le plus en vue dans ces derniers temps, M. Canovas. Littérateur remarquable, historien de mérite, orateur de premier ordre, il possède une grande qualité d’homme d’état, le caractère, mais peut-être le pousse-t-il jusqu’à l’absolutisme. Il laisse à ses collègues peu de chose à faire, et se perd lui-même dans le détail. Depuis les événemens de 1868 jusqu’à 1874, il fut le chef du parti alphonsiste, rôle où il déploya beaucoup de zèle et d’activité, mais il eut le tort de se prêter au soulèvement de Sagonte, qui lui valut pour sa part cinq ans de dictature. Toute insurrection militaire est une chose grave ; à plus forte raison quand elle, a lieu en face d’un ennemi redoutable comme l’étaient alors les carlistes. D’ailleurs la restauration moralement était déjà faite, et les révolutionnaires eux-mêmes sentaient qu’elle s’imposait à eux ; elle pouvait donc s’accomplir légalement. Si maintenant on passe à l’œuvre gouvernementale de M. Canovas, on le voit remanier, en commençant par la constitution, toute la législation administrative ; on ne voit pas qu’il ait