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très haut. D’autre part, le manque de communications annule entièrement des richesses existantes, parfois considérables, comme les forêts, dont on ne tire aucun parti, faute de débouchés, ou certaines terres, naturellement fertiles, qu’on ne peut mettre en culture. Aussi les campagnes sont-elles souvent désolées par la famine, et, fait plus significatif encore, juste au même temps, dans des localités qui partout ailleurs pourraient passer pour voisines, le blé se vendra bas prix. Au mois de juillet 1879, il a valu en certains endroits 13 francs, en d’autres 39 francs l’hectolitre.

De tout cela ressort que le travail économique, — production, circulation, échange, — est réduit en Espagne à des proportions mesquines, et la connaissance pratique des affaires y est comme nulle. En 1846 et 1860, on a tenté d’organiser de grandes sociétés financières ou industrielles, et à deux reprises, par suite d’impéritie ou de mauvaise foi, ces tentatives ont complètement échoué. La banque d’Espagne, qui se trouve en ce moment dans une situation florissante, ne le doit qu’au monopole, aux bénéfices que lui procurent ses opérations avec le gouvernement, et parfois à l’infraction de ses statuts, avec connivence des autorités. Aussi, malgré les fortes subventions données par l’état aux chemins de fer, pas une seule compagnie espagnole ne s’est formée pour la construction des lignes principales, à l’exception de celles de Bilbao à Tudela et de Malpartida. Ce sont également des étrangers qui construisent les canaux d’irrigation. Les incomparables mines de mercure d’Almaden sont hypothéquées à une grande maison étrangère, les plombs de Linarès donnent une large part de bénéfices à l’étranger, qui est seul maître des vastes gisemens de cuivre de Rio-Tinto. Il n’y a qu’à jeter les yeux sur le cours officiel de la bourse de Madrid : les valeurs espagnoles industrielles et financières y sont citées, mais comme il ne se fait pas une seule opération, la plupart ne sont jamais cotées. On objectera peut-être que de grosses fortunes ont été réalisées à Madrid dans ces derniers temps, il semblerait donc que la science des affaires n’y est pas inconnue ; mais ces fortunes procèdent pour la plupart de prêts au trésor ou de contrats avec le gouvernement. Aucune ne suppose ni travail intellectuel, ni utile invention, ni surtout création d’une richesse nouvelle qui se partage entre l’homme d’initiative, ses collaborateurs et le pays. Dans ces conditions, doit-on s’étonner que le portefeuille des finances ait été souvent confié à des hommes au-dessous de leur tâche ?