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la huerta de Valence, celle de Murcie, quelques parties du littoral méditerranéen, l’agriculture est très avancée, mais ces contrées ne représentent qu’une superficie insignifiante relativement à la totalité du territoire. Partout ailleurs, dans les travaux agricoles, on s’en tient à des habitudes mesquines et routinières ; le laboureur, fermier ou petit propriétaire, est ignorant ; le grand propriétaire est indifférent, a très peu de rapports avec ses fermiers, se borne à recevoir ses rentes ou à les remettre dans les années mauvaises. Nulle part ne se voit l’agriculture industrielle avec initiative et capital. L’industrie proprement dite est dans un état analogue ; concentrée dans quelques districts isolés, sans relations les uns avec les autres et comptant pour vivre, bien plus que sur ses propres forces, sur des tarifs élevés, unique mesure qu’elle réclame du gouvernement. Le commerce est faible : à l’intérieur, il suit ses anciens erremens, sans autre progrès que celui que devaient fatalement amener les lignes ferrées, et c’est peu de chose, privées qu’elles sont de routes qui y aboutissent ; à l’extérieur, pour ce qui touche à l’exportation, il ne s’est guère accru qu’en fait de vins et de minéraux ; quant à l’importation, elle consiste surtout en denrées coloniales et en objets de luxe pour les classes riches, dont la consommation est forcément limitée. Comme l’industrie et l’agriculture, le commerce se trouve localisé, sans initiative et sans cohésion. La banque même est encore dans l’enfance ; qu’il suffise de dire que, sauf pour un petit nombre de villes, il est difficile d’escompter une lettre de change ; au lieu d’être, comme dans les nations commerciales, une sorte de papier-monnaie économisant la monnaie métallique et les billets, en Espagne c’est une transaction limitée en quelque sorte entre le tireur et le tiré, et par conséquent de très mince importance. Enfin, sans parler des loteries particulières autorisées, la loterie nationale enlève tous les ans à l’épargne une somme supérieure aujourd’hui à 57 millions de francs, qui, accumulée lentement, aurait suffi à fonder le pouvoir financier de la nation. En revanche, les caisses d’épargne n’existent qu’à Madrid et dans les grands centres de population. D’ailleurs, les économies, fussent-elles effectives, ne trouveraient pas à s’employer d’une manière sûre et profitable, à cause du peu de confiance que méritent la plupart des sociétés de crédit.

Après le capital, ce qui fait le plus défaut à l’Espagne, ce sont les bonnes routes. Il est bien simple pourtant de calculer le nombre de kilomètres qu’une marchandise de moyenne valeur, le blé par exemple, peut parcourir sur une route donnée sans être trop surchargée dans son prix de revient ; si la route est mauvaise ou même n’existe pas, à n’en pas douter, les frais de transport monteront