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souvent n’a pas d’autre origine. Elle ne se souvient que des excès de pouvoir des rois et de leurs favoris, des horreurs de l’inquisition ; elle ne voit que le même arbitraire exercé sans retenue par les puissans du jour et leurs satellites dans les derniers recoins du pays. Chacun n’aspire qu’à demeurer caché, ignoré chez lui, à se faire le plus petit possible. Mais si l’apathie est aujourd’hui l’état normal, de temps à autre, les injures accumulées amènent de terribles explosions. Allez donc persuader à un peuple en masse que le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif sont distincts ; il n’en croit rien et son indignation se satisfait sur l’exécutif, à la recherche d’une justice que l’opposition, démocratique ou conservatrice, sachant le pouvoir magique de ce mot, lui promet toujours et ne lui donne jamais.

Telle est la justice, telle doit être l’administration de l’état. Tout d’abord, la défiance à l’égard des employés éternise la résolution des affaires et accroît les frais du trésor ; qu’il faille trois signatures, pour retirer, par exemple, une caisse de la douane, on en exigera douze : le nombre des employés est évidemment quadruplé. Il est vrai que ces précautions sont rendues illusoires par le manque de responsabilité de ces mêmes employés à tous les degrés. Quand un grand scandale se découvre, on s’empresse, selon le vieil adage, de jeter de la terre sur les faits. Enfin, dans les bureaux, la moindre opération, qu’il s’agisse de toucher ou même de verser quelque argent, se complique de tant de formalités ingénieuses, qu’il faut souvent plus d’un jour pour y arriver. L’une des principales causes de la mauvaise administration est la confusion législative. Lorsqu’un parti arrive au pouvoir, il y apporte ce qu’il appelle ses principes et ne saurait gouverner avec ceux de ses prédécesseurs : aussi refait-il de fond en comble toutes les lois administratives. Par malheur, cette œuvre hâtive est pleine de contradictions, et les lacunes y abondent. Grand embarras des employés, qui ne savent comment appliquer cet ensemble incohérent et qui s’adressent au ministre, lequel leur répond par un simple décret ou une circulaire, ne se gênant pas, quand cela lui convient, pour résoudre ce que les tribunaux seuls peuvent décider. Il est aisé de comprendre combien ces procédés arbitraires aggravent les difficultés. On pourrait citer telle direction générale où sont retenus plus de 40,000 dossiers, attendant sans doute, dans leurs casiers respectifs, la trompette du jugement dernier.

L’autre cause de désordre, c’est l’instabilité des employés. Bien assurés en effet d’être destitués au premier changement politique, se considérant comme de passage, mesquinement appointés, la tentation est pour eux trop forte. C’est d’abord une petite