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reproche qui malheureusement a été répété plus souvent par les Français que par les étrangers, peut-être parce que les premiers parlaient souvent de ce qu’ils n’avaient pas vu, tandis que les derniers se donnaient au moins la peine d’observer les choses sur les lieux mêmes. » A l’appui de cette remarque, il faut citer l’appréciation de Gerhard Rohlfs, déclarant que « quiconque a pu voir comme lui les prodigieux travaux exécutés par les Français en Algérie n’éprouvera qu’un sentiment de pitié pour ceux qui, en présence de toutes ces œuvres admirables, oseraient encore soutenir que les Français ne savent pas coloniser. » Il est vrai que M. Rolfs trouve que les choses marcheraient encore plus admirablement si, renonçant à une longanimité paf trop chevaleresque, nous pouvions nous décider à refouler les indigènes, « alors qu’une expérience de quarante années a démontré qu’ils ne veulent point devenir Français. » Mais M. de Tchihatchef développe très bien les excellentes raisons qui justifient notre conduite à l’égard’des indigènes, lesquels, après tout, ne sont pas des sauvages comme les aborigènes de l’Amérique du Nord.

Les détails que M. de Tchihatchef nous donne sur la régence de Tunis empruntent un véritable intérêt d’actualité à de récens événemens. Il parle avec enthousiasme de la fertilité extraordinaire du sol et des admirables conditions physiques où se trouve ce pays ; — conditions tellement favorables « qu’il suffirait d’y accomplir certains travaux d’une exécution facile et d’une utilité incontestable, pour élever la Tunisie au rang des régions les plus importantes du bassin méditerranéen. » Parmi les travaux qu’il serait urgent d’exécuter, il faut placer en première ligne la conversion en un port de premier ordre du lac de Biserta, situé à environ 50 kilomètres au nord de Tunis, et déjà relié à la mer par un canal naturel d’environ 6 kilomètres de longueur et 800 mètres de largeur. En y creusant un chenal suffisamment profond, on se procurerait, avec une dépense relativement faible, un port admirablement abrité, contenant une surface de 80 kilomètres carrés d’ancrage pour les gros vaisseaux. Aujourd’hui le lac de Biserta n’est exploité que par les pêcheurs. La création du port de Biserta serait, en tout cas, une entreprise beaucoup moins dispendieuse, et d’une utilité moins problématique, que l’établissement de la mer intérieure projetée par M. Roudaire, contre laquelle se sont élevées des voix autorisées. Parmi les objections fort sérieuses que soulève le projet de M. Roudaire, l’une des plus graves est celle qui a été formulée récemment par M. Cosson : nous voulons parler de l’action fatale que la mer intérieure exercerait sur la culture du dattier dans la région saharienne, où cette culture constitue et probablement constituera toujours la base de l’existence d’une nombreuse population. Le sacrifice que la création de ta mer intérieure imposerait ainsi à l’Algérie semble trop gros pour accepter, à titre de compensation, des promesses et des espérances.