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Espagne, Algérie et Tunisie, lettres à Michel Chevalier, par M. P. de Tchihatchef, 1 vol. in-8o ; Paris, 1880, J. -B. Baillière.


Depuis que les difficultés, comme les dangers, des voyages diminuent et disparaissent graduellement, on commence à se lasser des récits d’aventures vulgaires que de simples touristes se croient obligés de publier pour leurs amis et connaissances aussitôt qu’ils reviennent du moindre voyage de long cours. On demande aujourd’hui des renseignemens plus sérieux ; avant tout, les esprits mûrs cherchent dans les relations des voyageurs les symptômes qui révèlent chez les peuples le progrès moral, le développement de la richesse, les transformations économiques en voie de s’accomplir. Aussi seront-ils pleinement satisfaits en lisant l’intéressant volume où M. de Tchihatchef a consigné les résultats d’une rapide exploration de l’Espagne et de la côte africaine, commencée en 1877 et terminée en 1879, — relation qui est publiée sous la forme de lettres adressées au regrettable M. Michel Chevalier.

Bien que les chapitres consacrés à l’Espagne, — le seul pays de l’Europe peut-être, selon M. de Tchihatchef, où il y ait encore quelque chose à glaner, — soient remplis de faits curieux et de vues originales, ce qui nous intéresse davantage, ce sont les observations que l’auteur a pu faire pendant son séjour en Afrique. On ne peut lire sans une vive satisfaction les pages où le célèbre naturaliste dépeint le mouvement de progrès qui, en Algérie, se manifeste dans les cultures de toute sorte, dans toutes les exploitations du sol, et dans toutes les branches de l’industrie, — progrès qui eût été impossible sans un développement parallèle des voies de communication, de la sécurité individuelle, de l’instruction publique. Et, témoin à la fois impartial et bienveillant, M. de Tchihatchef constate que, sous tous ces rapports, notre belle colonie a effectivement marché à pas de géant. Pour le prouver, il suffit de considérer « le vaste réseau de routes et de ponts embrassant la surface du pays, les nombreuses voitures publiques qui le traversent en sens divers, la parfaite sécurité qui y règne partout et pourrait servir de modèle à bien des pays de l’Europe, tels que l’Italie, l’Espagne et la Grèce, l’application impartiale des lois aux populations de toute race et de toute croyance, enfin le remarquable esprit de tolérance religieuse, bien plus largement et plus rigoureusement exercé que dans la plupart des états européens les plus civilisés. » En somme, — et cela ressort surtout d’une comparaison minutieuse avec la situation présente de l’Inde anglaise, — l’œuvre accomplie dans l’Algérie n’a été surpassée nulle part, et égalée très rarement. « Désormais, dit M. de Tchihatchef, les plus opiniâtres détracteurs de la France n’oseront plus lui adresser le reproche de ne point posséder l’esprit colonisateur,