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en restait pas moins fidèle. Dans la nombreuse correspondance qui est sous mes yeux, j’aurais pu choisir encore de jolies lettres d’un tour enjoué, écrites à une très fine observatrice qui prétendait un jour avoir découvert chez Lanfrey des instincts de chat-tigre à l’égard de son prochain, et ne l’appelait en plaisantant que le ferocino, surnom très volontiers accepté et dont il a toujours signé depuis les billets familiers qu’il lui adressait, billets qui d’ailleurs ont presque tous été reproduits dans les Souvenirs inédits publiés en 1879. Les jeunes femmes n’ont pas d’ailleurs été les seules auxquelles il ait témoigné les égards les plus attentifs. Il a donné également des preuves de son respect attendri pour des personnes d’un âge plus mûr dont les nobles qualités avaient gagné son cœur. Il n’est pas jusqu’à ses modestes parentes de Chambéry auxquelles il n’ait eu l’envie de plaire, de préférence à ses oncles et cousins et à ses propres amis, avec lesquels sa nature réservée avait peine à s’ouvrir. Les lettres pleines d’abandon que je viens de citer portent au contraire l’empreinte d’une exaltation qui peut paraître exagérée. Ajoutons à l’honneur de celui qui les a écrites et de celles qui les ont inspirées qu’elles répondaient à un sentiment réel qui s’est trouvé parfaitement durable. Jamais Lanfrey n’a cessé de témoigner une reconnaissante affection aux deux femmes distinguées qui, en prenant intérêt aux premières difficultés de sa vie, lui ont donné des preuves d’une sympathie plus précieuse pour lui que pour un autres


III

A partir du jour où il abandonna, pour ne plus la reprendre, la chronique de la Revue nationale, Lanfrey s’est résolument et à peu près exclusivement adonné à la composition de son Histoire de Napoléon Ier. Les deux premiers volumes parurent en 1867, le troisième et le quatrième en 1868 et 1870. Je ne me suis pas proposé d’analyser dans cette étude le talent de l’historien, mais plutôt le caractère de l’homme. C’est pourquoi je parlerai peu des mérites, suivant moi, remarquables de cet ouvrage, d’une inspiration si honnête, dont la facture est grave et ferme, qui a redressé avec autorité beaucoup, d’erreurs de fait, et tant d’appréciations superficiel les trop accréditées sur les actions et sur les mobiles du grand homme dont le caractère moral y est profondément scruté et jugé, non sans raison, avec la plus stricte sévérité. Si la plupart des griefs de Lanfrey contre les procédés peu scrupuleux du personnage dont la grande figure emplit son cadre entier jusqu’à le