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la main qui me fait de si douces blessures. Essayez, de m’en empêcher si vous pouvez !

… Pourquoi cette obstination à ne pas vouloir vous laisser guérir, âme capricieuse et rebelle ? Quel attrait mystérieux a pour vous la souffrance ? Est-ce l’orgueil de la braver et de la vaincre ? Est-ce le dédain des joies du monde que vous jugez ne valoir ni un de vos désirs, ni un de vos regrets ? Vous plaît-elle par les voluptés qu’elle donne, dit-on, à ceux qui ne la craignent pas, ou bien est-ce le plaisir cruel de voir tous ceux qui vous aiment suspendus à cette inquiétude et de leur faire mieux sentir ainsi le prix de tout ce qu’ils admirent et chérissent en vous ?




Vous pardonnez trop facilement, voilà ce qui fait qu’on se laisse si volontiers aller à pécher contre vous. On sent que cela vous est bien égal, et que vos rancunes ne sont jamais qu’à fleur de peau. Vous donnez des bénédictions avec une bonté désolante, et si je n’avais pas depuis longtemps renoncé à vous émouvoir dans le sens de l’amitié ou de la haine, je serais bien furieux contre vous. Mais j’ai senti de bonne heure que je ne parviendrais jamais à altérer l’admirable égalité de vos sentimens. J’accepte donc votre absolution d’un cœur reconnaissant, faute des injures bien senties que j’aurais préférées, et de ces égratignures amicales que les femmes savent si bien faire. Vous n’avez rien d’humain ; je l’ai toujours dit. Aussi ne suis-je pas étonné de l’état de votre santé. Le ciel est irrité, lui aussi, de vous voir si parfaite.

… Soyez convaincue cependant que ceux qui s’autorisent de votre souffrance pour vous accuser d’égoïsme vous calomnient et vous tourmentent sans motifs. Ceux qui vous conseillent l’étude comme diversion ne vous connaissent pas mieux. La vraie cause de votre ennui n’est pas un manque d’occupations pour votre esprit, c’est un manque d’occupation pour votre cœur. Vous n’avez aucune affection forte et profonde qui vous intéresse à la vie… Si vous ne l’aviez jamais connue, On pourrait vous accuser d’être incapable de la ressentir. Mais qui l’a mieux éprouvée que vous ? N’en ai-je pas été mille fois témoin moi-même ? Vous aimiez alors, peu importe sous quelle forme, et aujourd’hui vous n’aimez plus ; tout votre mal est là. Ce n’est pas dans le temps où respirait encore le grand cœur que j’ai tant aimé moi-même, ce n’est pas alors que vous vous ennuyiez de la vie ! Si parmi les amis qui vous restent aucun n’a su, je ne dis pas vous consoler d’une perte dont vous ne devez pas vous consoler, mais réconcilier avec la vie une âme qui a montré de tels sentimens, qu’ils accusent leur insuffisance ou leur malheur, qu’ils ne parlent pas d’égoïsme. Si vous souffrez parce