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la curiosité bienveillante de toutes les imaginations tournées au romanesque. Il n’était pas sans receler tout au fond de lui-même quelques dispositions de ce genre, et les innocentes marques d’intérêt que des personnes intelligentes et belles étaient portées à lui accorder ne risquaient pas de rencontrer chez lui un froid accueil. Le danger était plutôt qu’il n’arrivât, au bout d’assez peu de temps, à se tromper entièrement sur la nature de ses sentimens à leur égard. Cela provient-il des Charmettes, mais il y a quelque chose du style de Jean-Jacques Rousseau dans toutes les lettres qui vont à l’adresse de ces aimables correspondantes. Au langage qu’il prête à l’amitié, on se demande quelle forme il eût donnée à l’expression d’un autre sentiment. On sent qu’il n’est plus sur son terrain quand il écrit aux femmes du monde avec lesquelles il est lié. Avec elles, il cesse d’être parfaitement naturel ; c’est une surprise de voir cet ennemi de toute affectation employer, dans des billets écrits au courant de la plume entre deux visites, pour rendre des impressions parfaitement sincères, des phrases presque emphatiques, qui seraient mieux à leur place dans les pages imprimées de quelque roman déclamatoire.

Nous avons raconté que Mme d’Agoult avait fait un gracieux accueil à Lanfrey, après la publication de son ouvrage sur l’Église et les Philosophes du XVIIIe siècle. Il avait été très sensible au suffrage de la personne distinguée qui signait ses livres du nom de Daniel Stem. Dès les premiers jours de la connaissance, nous ne trouvons pas moins d’une vingtaine de lettres qui lui sont adressées. C’est probablement parce qu’elle avait lieu d’auteur à auteur que la correspondance de Lanfrey avec Mme d’Agoult se monte vite à un ton qui n’est pas toujours parfaitement simple et naturel. On va en juger :

… Je suis fier, madame, de la bienveillance dont vous m’honorez. Je l’ai toujours mise à un si haut prix dans mes rêves de jeune homme épris de votre beau génie, qu’elle m’est pour ainsi dire tombée du ciel, comme un bien inespéré et comme la seule récompense de mes humbles efforts qui me soit vraiment chère et précieuse entre toutes. Elle m’inspire avec l’ambition de m’en rendre digne plus tard un profond sentiment de mon insuffisance présente.

… J’ai à cœur de protester avec toute la vivacité des premières impressions contre deux réticences qui m’ont été très sensibles parce qu’elles semblent mettre en doute la sincérité des sentimens d’admiration et de sympathie dont j’ai osé vous faire l’aveu après bien des hésitations. Non, madame, faites-moi la grâce de le croire, vos amis ne