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dans les dernières lignes de l’article qu’il lui a consacré, ne ratifiera pas ce jugement. Avec une émotion pareille à la nôtre et que le temps n’affaiblira point, elle croira, en les lisant, avoir assisté aux glorieuses journées de Marengo, d’Austerlitz, d’Iéna, aux sanglans désastres d’Aboukir et de Trafalgar ; ces pages où des bataillons innombrables se heurtent les uns contre les autres, où l’on voit chefs et soldats avancer, reculer, se précipiter en masses profondes suivant les lois savantes de la tactique moderne, d’où l’on entend sortir pêle-mêle, ainsi que dans un chant d’Homère, les cris de joie des vainqueurs et les imprécations des vaincus, demeureront immortelles, et mon ami, M. Doudan, a bien eu raison de dire que le récit de M. Thiers semble, comme le Simoïs, rouler encore dans ses flots les armes des combattans.

Pourquoi faut-il malheureusement que les critiques de Lanfrey se rapprochent davantage de la vérité, quand il accuse l’historien du Consulat et de l’Empire d’avoir montré trop peu de souci du droit, de la justice, de la morale et de la liberté, dont il fait si cavalièrement litière, au cours de son ouvrage, sous les pieds de son héros ? Lanfrey tient au contraire à honneur d’être de « ces imbéciles paroles de Napoléon au général Mathieu Dumas) qui ont cru et qui croient encore à la puissance de ces dons sacrés que Dieu fit à l’homme en le créant. » Ce n’est pas lui qui se serait jamais écrié avec le chef de l’école romantique :

Napoléon, ce dieu dont je serai le prêtre !


Ce n’est pas lui qui aurait parlé « du cœur généreux de Napoléon » à propos du meurtre du duc d’Enghien, en plaignant les « malheureux juges plus affligés qu’on ne peut dire, dans cette douloureuse affaire où tout le monde était en faute, même les victimes. » Ce n’est pas lui qui aurait dit, en parlant des conférences de Bayonne en 1808 : « Assurément, si l’on jugeait ces actes d’après la morale ordinaire, il faudrait les flétrir… Mais les trônes sont autre chose qu’une propriété privée ; » ou bien encore, à propos de la guerre d’Espagne : « Si elle eût réussi, elle eût été juste, car la grandeur du résultat aurait absous Napoléon de la violence et de la ruse qu’il aurait fallu y employer. » Comme Lamartine, il trouve que, si bien composés qu’ils puissent être, les tableaux de M. Thiers sont des tableaux « sans ciel. » Il lui reprocherait volontiers avec l’auteur des Girondins d’avoir écrit l’histoire de Napoléon avec une plume arrachée au plumet d’un grenadier. Pour lui, la gloire, si grande qu’elle soit, ne suffit pas à couvrir les atteintes portées à la morale. Il soutient comme M. de Chateaubriand, « que, si l’on sépare la vérité