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de drapeaux et d’illuminations, recouvrait assez mal la décadence désormais avérée de cette influence française que la malheureuse issue de l’expédition du Mexique avait déjà compromise. L’engouement inattendu manifesté près de lui par des optimistes incorrigibles pour le futur fondateur d’un immense empire allemand destiné à réduire à néant la rétrograde Autriche et à transporter, pour le plus grand bien du genre humain, la suprématie dans les affaires germaniques des rives du Danube aux bords de la Sprée, le trouvèrent de bonne heure fort récalcitrant. Les avances faites secrètement par le comte de Bismarck aux passions des démocrates de tous les pays, les grossières amorces jetées aux convoitises territoriales du rêveur ambitieux qui disposait alors de la France lui apparurent d’abord comme une sorte de mascarade politique dont il suffisait de faire justice par le ridicule. Plus tard, quand se dévoilèrent moins confusément les projets de celui qu’un trop grand nombre de Français abusés nommaient, avec éloge « le Cavour du Nord, » M. Lanfrey, plus clairvoyant que ses confrères de la presse démocratique, ne cessa plus de dénoncer en lui le plus irréconciliable et le plus dangereux de nos ennemis.

Comment le gouvernement impérial aurait-il pu tarder à tenir en grande suspicion le polémiste républicain qui, dans les questions intérieures, se montrait le plus souvent disposé à s’entendre avec les libéraux du parti conservateur et refusait absolument de se laisser prendre au mirage des questions de politique agitées, par manière de diversion, devant les yeux de la foule ? Toute la réserve qu’à grand’peine il avait essayé de s’imposer ne devait lui servir de rien. Deux avertissemens reçus à quelques mois de distance pour des causes assez futiles firent comprendre à Lanfrey qu’en dépit des ménagemens que, de bonne foi, il cherchait à garder, ses chroniques éveilleraient toujours les susceptibilités de l’omnipotente direction de la presse. En troisième avertissement aurait infailliblement amené la suppression du recueil dans lequel il avait trouvé un asile et des amis. Il préféra donc renoncer de lui-même à continuer une tâche qui d’ailleurs avait presque cessé de lui plaire et dont les exigences ne convenaient guère à la nature de son talent. L’improvisation n’était pas son fait. Il avait certainement trop de conscience et peut-être pas assez de légèreté d’esprit pour effleurer en passant plusieurs sujets à la fois. Son esprit, ennemi des lieux-communs et de toute déclamation, avait besoin d’étude, de réflexion et d’une certaine largeur de développemens pour bien rendre ses pensées et leur donner l’expression et le tour propres à les mettre à valeur. Il en était lui-même si convaincu que, tout en rédigeant ses chroniques pour la Revue nationale, il avait pris soin d’insérer en même