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avaient péri. Cornwallis et Wellesley avaient terminé la conquête de l’Inde, commencée par Clive et par Hastings. Pitt avait posé en Australie les fondemens d’un nouvel empire colonial destiné à remplacer un jour celui que l’Angleterre avait perdu dans l’Amérique du Nord. Canning avait décrété l’indépendance des colonies espagnoles du Nouveau-Monde et préparé l’affranchissement de la Grèce. Au milieu de ces guerres, de ces révolutions, de ces remaniemens de territoire, la question catholique était restée posée dans les mêmes termes que le premier jour, parce qu’elle était de celles qui, relevant de l’ordre moral, ne changent pas au gré des événemens, ne se plient pas aux combinaisons passagères de la politique et ne peuvent se résoudre que par le triomphe d’un grand principe. Elle avait été agitée, discutée, élucidée par une génération d’orateurs et d’hommes d’état telle que le monde n’en avait jamais vu et telle qu’il n’en reverra peut-être jamais une pareille. Burke, Pitt, Fox, Sheridan, Castlereagh, Grattan, Canning, Grey, O’Connell, Robert Peel, Wellington, vingt autres, qui auraient été les premiers en un temps ordinaire, mais qui dans cette époque exceptionnelle devaient se contenter du deuxième ou du troisième rang, tous à des titres divers, avec plus ou moins de talent, plus ou moins d’éclat, plus ou moins de bonheur, avaient joué un rôle dans ce grand drame politique qui commence en 1789 pour finir en 1829, avaient figuré dans ce long conflit entre la vieille théorie de la religion d’état et le principe nouveau de la liberté de la foi.

L’historien n’a pas toujours la bonne fortune de rencontrer sur sa route des questions d’un ordre aussi élevé. Dans la vie quotidienne des nations, les intérêts matériels tiennent naturellement une grande place. Ils ont leur importance, ces intérêts ; ils ont même leur grandeur, pour qui cherche dans leur étude et dans leur développement le secret de diminuer les souffrances de l’humanité et d’assurer au plus grand nombre la plus grande somme de bien-être compatible avec l’infirmité de notre nature. Combien cependant ces intérêts sont inférieurs à ceux de l’ordre moral ! combien les passions qu’ils soulèvent sont moins nobles ! combien les débats qu’ils provoquent sont moins émouvans ! combien les dévoûmens qu’ils inspirent sont moins touchans ! Jusqu’à l’émancipation partielle des catholiques par Grattan et Pitt, des millions d’êtres, plutôt que de renier leur foi, ont souffert dans leur tranquillité, dans leur fortune, dans leurs affections, ils se sont résignés à ne point acquérir de terres, ils se sont condamnés à faire élever leurs enfans à l’étranger. Jusqu’à la grande mesure de 1829, les chefs de quelques-unes des plus illustres familles de la pairie anglaise, les Norfolk, les Clifford, les Petre, ont laissé vides les places qui leur