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premier ministre sans jamais diriger la politique du gouvernement. Pendant les dix premières années, il fut le prête-nom de Castlereagh ; pendant les cinq dernières, il fut le prête-nom de Canning.

Nous n’avons pas à raconter en détail ces cinq années de ministère qui ont renouvelé, au dedans comme au dehors, la politique de l’Angleterre. Ce récit a été fait ici même par M. Blerzy dans un remarquable travail que nos lecteurs n’ont certainement pas oublié. La sainte-alliance battue en brèche, le Portugal sauvé de la réaction et de l’absolutisme, la Grèce et les colonies espagnoles de l’Amérique du Sud favorisées dans leurs efforts pour conquérir l’indépendance, les réformes commerciales inaugurées par Huskisson, la vieille législation pénale de l’Angleterre, reste d’un âge de barbarie, réformée, améliorée, mise en rapport avec l’adoucissement des mœurs, tels furent les principaux résultats d’une politique qui donna enfin à Canning la popularité, l’influence et la gloire depuis si longtemps rêvées par lui. L’ancien rédacteur de l’Anti-Jacobin, l’élève de Pitt, le collègue de Castlereagh, était devenu l’espoir des libéraux et des réformateurs, non-seulement en Angleterre, mais en Europe, non-seulement en Europe, mais dans le monde entier. Son nom était répété avec sympathie, avec respect, avec admiration sur les rives de l’Orénoque comme à l’embouchure du Tage, aux pieds de la Cordillère des Andes comme au fond du golfe d’Athènes, partout enfin où une nation, un parti, un groupe d’hommes luttait pour l’indépendance politique ou pour la liberté religieuse.

Nul doute que l’émancipation des catholiques ne fît partie du programme dont Canning se proposait la réalisation. Les circonstances malheureusement n’étaient pas favorables à la réalisation d’un tel projet. Ministre des affaires étrangères, Canning était engagé au dehors dans de grandes entreprises auxquelles il s’était attaché avec passion. Ces entreprises, qui auraient besoin de plusieurs années pour être conduites à leur terme, il craignait à chaque instant de les voir entravées ou compromises par le mauvais vouloir du gouvernement ou du parti gouvernemental. Une majorité hostile dans la chambre des lords, douteuse dans la chambre des communes, un ministère divisé, un roi mécontent, tels étaient les écueils au milieu desquels Canning devait naviguer. Il ne triomphait de ces difficultés qu’en remuant, en passionnant l’opinion publique, en prononçant discours sur discours, en consumant ses forces, en usant son tempérament, en abrégeant sa vie. Par son éloquence il dominait la chambre des communes ; par la chambre des communes il dominait le gouvernement. Sa politique extérieure, d’abord contestée, était devenue trop populaire et avait trop brillamment réussi pour qu’on essayât sérieusement de la battre