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la guerre sociale. Les Whiteboys ne cherchaient pas à s’emparer de Dublin, à mettre la main sur les forts, les arsenaux, les dépôts d’armes, et à établir en Irlande un gouvernement républicain. Ils n’en auraient pas eu les moyens, s’ils en avaient eu l’idée. Toute leur ambition se bornait à faire la guerre aux propriétaires protestans, surtout à ceux qui avaient la réputation, méritée ou non, d’user rigoureusement de leurs droits à l’égard des fermiers et des paysans. Un propriétaire était-il signalé comme ayant commis un abus de pouvoir ou un acte d’inhumanité, un matin, en sortant de chez lui, il trouvait devant sa porte un cercueil. C’était la manière de lui signifier l’arrêt de mort prononcé contre lui par la terrible association. Peu de jours après il tombait sous les coups d’une bande de Whiteboys. La population était complice des assassins. Parfois le crime avait eu lieu en plein jour, devant des centaines de personnes. Et cependant la justice ne trouvait jamais un témoin pour constater l’identité des coupables. Près de Limerick, un nommé Torrance et sa femme furent attaqués un dimanche, sur une grande route, à coups de bâtons et de pierres. La femme mourut sur place ; le mari survécut à ses blessures. Le chef de la police de Limerick fut assassiné en plein jour, et sa mort fut immédiatement annoncée à vingt lieues à la ronde par des feux de joie allumés de village en village. Des crimes encore plus horribles furent commis. Près de Tipperary, la maison d’un nommé Shea fut cernée la nuit par une bande qui y mit le feu. Le propriétaire, sa femme, ses sept enfans, trois servantes et cinq garçons de ferme, en tout dix-sept personnes, étaient à l’intérieur. Ces malheureux se précipitèrent au dehors pour échapper à l’incendie. On les repoussa au milieu des flammes. Ils furent brûlés vifs jusqu’au dernier, sous les yeux de leurs bourreaux, qui prenaient un féroce plaisir à contempler leurs contorsions. Une jeune fille de seize ans, presque une enfant, fut enlevée de la maison de son frère, retenue en captivité pendant trois semaines, et ne fut enfin remise en liberté qu’après avoir subi les plus odieux outrages.

A la nouvelle de ces atrocités, dignes des Peaux-Rouges de l’Amérique du Nord, un cri d’indignation s’éleva en Angleterre. Pour arrêter ce débordement de crimes, des mesures exceptionnelles furent jugées nécessaires. Le parlement, à la demande du ministère, suspendit en Irlande l’habeas-corpus et vota une loi sur l’insurrection (Insurrection-Act) pour autoriser le lord-lieutenant à déclarer en état de troubles tout comté ou toute partie de comté et à y faire juger sommairement par des magistrats, sans l’assistance du jury, toute personne accusée d’avoir troublé l’ordre. Ces deux mesures n’étaient votées que pour six mois, mais on fut obligé par la suite de prolonger d’un an les effets de la loi sur