Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/624

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de grossir à chaque élection générale. Le parti tory, au contraire, était divisé en un certain nombre de groupes dont quelques-uns, dans diverses circonstances, avaient fait alliance avec l’opposition. En dehors de ces groupes ; certaines personnalités isolées gardaient une attitude expectante qui pouvait, à un moment donné, se changer en une hostilité déclarée. De ce nombre étaient Canning et Robert Peel ; Canning, qui avait précédemment accepté la présidence du bureau de l’Inde, mais qui en 1820 avait abandonné ce poste pour ne point partager la responsabilité du scandaleux procès intenté par le gouvernement à la reine Caroline ; Robert Peel, qui après avoir rempli pendant quelques années les fonctions de secrétaire en chef pour l’Irlande, s’était séparé d’un ministère qui ne se pressait pas de lui faire une situation en rapport avec son talent grandissant et sa précoce expérience. Lord Liverpool attachait un grand intérêt à faire rentrer dans l’administration deux hommes de cette valeur, dont le concours aurait fortifié le ministère dans les débats de la chambre des communes et soulagé Castlereagh d’une partie du fardeau écrasant qui pesait sur lui. Le roi malheureusement ne voulait pas de Canning comme ministre ; il lui gardait rancune de son attitude dans le procès de la reine. Canning de son côté n’était peut-être pas très soucieux de servir de nouveau sous Castlereagh. Il accepta le poste de gouverneur-général des Indes. C’était un magnifique exil. Peel, auquel on avait proposé la présidence du bureau de l’Inde, ne trouva pas cette situation suffisante pour lui. Il fallut que lord Sidmouth lui cédât sa place de secrétaire d’état de l’intérieur et se contentât de rester dans le cabinet sans portefeuille.

Lord Liverpool tenait en outre à s’assurer l’appui du groupe des grenvillites, qui oscillait sans cesse entre le ministère et l’oppositions Il n’y serait peut-être pas parvenu s’il avait eu à traiter avec lord Grenville, que ses idées et ses sympathies attiraient du côté des whigs. Mais lord Grenville, vieilli, fatigué, découragé, avait à peu près renoncé à la politique, et la direction de son groupe venait de passer aux mains de son neveu le marquis de Buckingham. Ce dernier vendit sans vergogne l’appui de ses amis et le sien. Il ne stipula rien pour ses opinions, uniquement occupé de réclamer des satisfactions d’influence, d’intérêt ou de vanité. Pour lui-même le titre de duc, pour un de ses cousins, Charles Wynn, la présidence du bureau de l’Inde, pour un autre Wynn, le poste de chargé d’affaires en Suisse, pour ses amis Freemantle et Phillimore des places secondaires dans l’administration, telles furent les conditions de ce trafic, qui révolta même les gens les moins scrupuleux en pareille matière. Si c’était un marché cynique du côté de lord Buckingham, c’était un marché de dupe du côté du premier ministre.