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naissance ni fortune. Son père mourut quand il était encore en bas âge et sa mère demanda au théâtre des moyens d’existence. Un oncle, Stratford Canning, riche négociant de la Cité, s’intéressa à l’enfant et le fit élever comme un fils de lord à Eton et à Oxford. Là il étonna ses maîtres et charma ses condisciples par la vivacité de son esprit, par la séduction de son extérieur et surtout par le don, naturel chez lui, d’écrire et de parler. A Eton, il fut le rédacteur principal d’une petite revue, le Microcosm, dont un camarade plus riche faisait les fonds. On peut lire aujourd’hui encore avec agrément quelques-uns des morceaux de ce recueil, œuvres d’un écolier de seize ans. Quand il sortit de l’université, les deux grands partis politiques qui divisaient l’Angleterre se disputèrent ce jeune homme d’un si grand avenir. Fox et Sheridan avaient déjà entamé des démarches auprès de lui. Pitt leur enleva littéralement Canning. Il n’était pas comme certains ministres qui par jalousie ou simplement par indifférence laissent les hommes de valeur s’engager dans l’opposition et ne s’entourent que de subalternes sans valeur et de courtisans sans caractère. Canning, livré à lui-même, se serait peut-être tourné du côté du parti libéral, vers lequel l’attiraient quelques-unes de ses idées. Pitt s’empara de lui et l’entoura de toutes les séductions de la toute-puissance et du génie. Plus tard, Canning rappelait en termes émus, dans un de ses discours, l’influence que le grand ministre avait exercée sur ses débuts : « Dans son tombeau, disait-il, est ensevelie mon allégeance politique. »

Par l’appui de Pitt, Canning entra à la chambre des communes. Sous son influence, il rédigea avec quelques autres jeunes membres du parti, un journal satirique en prose et en vers, l’Anti-Jacobin, qui poursuivit de ses railleries, non-seulement les révolutionnaires français, mais les hommes politiques qui, en Angleterre, les justifiaient ou les excusaient. Au bout de peu d’années, il était devenu un des plus brillans orateurs de la majorité ; il avait déjà occupé quelques-uns de ces emplois de second ordre qui sont considérés en Angleterre comme des postes de début pour les hommes d’avenir. Il pouvait donc se flatter d’entrer bientôt dans le cabinet, lorsque la question catholique amena la démission de Pitt et la dislocation de la majorité. Sa carrière, jusque-là si rapide et si heureuse, se trouva brusquement arrêtée. Il crut d’abord que Pitt ne tarderait pas à rentrer au pouvoir. Quand il vit les semaines et les mois se succéder sans amener une nouvelle révolution ministérielle, il perdit patience et commença contre Addington une guerre acharnée. Il serait injuste d’attribuer sa conduite uniquement à des motifs intéressés. Canning sans doute avait de l’ambition et même une ambition un peu intempérante : cependant il faut dire à son