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que ce rituel, outre qu’il comportait plusieurs cérémonies en contradiction avec l’esprit du néo-brahmaïsme, laissait la porte ouverte à la polygamie et à d’autres abus encore. Si le jeune rajah était un véritable brahmaïste, que ne rendait-il le Native Marriage Act exécutoire dans ses états, et que n’attendait-il une année de plus pour se marier conformément aux principes de ses coreligionnaires, après avoir atteint la majorité matrimoniale prescrite par la loi ?

Keshub-Chunder-Sen, qui était entré en rapports avec le député-commissaire de Couch-Behar, fonctionnaire anglais investi de la tutelle du jeune rajah, avait d’abord subordonné son consentement aux conditions suivantes : 1° le maharajah adhérerait explicitement au brahmaïsme ; 2° le mariage serait célébré suivant le rite du Bharatbharsia Somaj, sauf à y intercaler telles formalités locales ou traditionnelles qu’on jugerait nécessaires, pourvu qu’elles n’impliquassent aucune pratique idolâtre ; 3° la noce serait retardée jusqu’à la majorité matrimoniale des deux époux. — Sur les deux premiers points il obtint toutes les promesses qu’il voulut ; mais à l’égard du troisième, il reçut du gouvernement anglo-indien la réponse que le rajah, ayant formé le projet d’un prochain voyage en Angleterre, devait absolument être marié avant son départ, sauf à différer jusqu’à son retour la consommation du mariage. Keshub céda, et, le 9 février 1878, l’Indian Daily News de Calcutta annonça officiellement que la noce aurait lieu à Couch-Behar, dans les premiers jours de mars. Aussitôt les protestations de pleuvoir chez Keshub. En huit jours, il n’en reçut pas moins de quarante-quatre, l’une signée par vingt-trois de ses principaux disciples de la capitale, une autre par les étudians de Calcutta, une troisième par les dames brahmaïstes ; — trente au moins venaient de différentes congrégations provinciales. En même temps se constituait, dans la congrégation de Calcutta, un comité « pour veiller aux intérêts du Brahma Somaj pendant la crise actuelle. » Ce comité convoqua immédiatement à l’hôtel de ville plusieurs meetings, dont l’un, composé, suivant l’Indian Daily News, d’au moins trois mille personnes, condamna formellement le mariage projeté, en ajoutant, dans une résolution votée à une forte majorité, que, « par son rôle dans cette affaire, comme par son dédain de l’opinion, le secrétaire du Bharatbharsia Somaj a perdu ses droits à la confiance de l’association. » La veille de cette réunion, Keshub était parti pour Couch-Behar avec sa fille et une nombreuse suite.

Sa situation était plus délicate encore qu’on ne le pensait à Calcutta. Il existait à la cour de Couch-Behar, comme dans la plupart des principautés indigènes, deux partis : le parti réformateur, plus ou moins directement encouragé par le gouvernement anglais, qui